ETHNOLOGIE 3 TOTEMISME ET NON-DROIT DE TUER https://jzmonod.wordpress.com/wp-admin/post.php?post=2275&action=edit&calypsoify=1
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ETHNOLOGIE 3 TOTEMISME ET NON-DROIT DE TUER
FUMEE JAUNE
« DEVENIR UN PEUPLE EN S’ALLIANT AVEC UN ANIMAL »
ou les enseignements de Shu’denaçi

Photo extraite de The Omaha Tribe, de Francis la Flesche et Alice Fletcher, 1910
1
L’esprit de la tribu
Les Lakota disaient qu’ils venaient de dans la terre. Ils formaient sept tribus, mais n’avaient pas de clans. Les Omaha étaient formés de cinq tribus : les Omaha, les Osage, les Ponca, les Kansa et les Quapaw. Les Omaha disaient qu’ils venaient de l’eau, les Osage du ciel, et les Kansa du vent. Tous avaient approximativement les mêmes clans. Les clans venaient de l’alliance contractée entre une personne humaine et un animal. Il était important pour chaque tribu de situer avec précision ces clans dans l'espace, pour une raison pédagogique notamment : permettre aux enfants d’apprendre dès leur jeune âge à quelle moitié ils appartenaient. Un enfant vivant dans la moitié de sa mère ne s’aventurait pas sans risques dans la moitié de son père, où il se faisait rabrouer plaisamment. Chez les Omaha, les époux étaient issus de moitiés opposées; on ne se mariait pas dans sa moitié, mais dans l’autre uniquement. Il y avait à cela une raison supérieure, une raison spirituelle. Cette raison supposait la construction d'un dispositif symbolique dans lequel les éléments constituants de la société devaient occuper chacun une place déterminée, pour pouvoir reproduire ensemble une dualité considérée comme constitutive du monde créé. C’est cette raison en rapport avec l’infini qui était déterminante de la répartition des clans dans le cercle de la tribu, entre une moitié Nord et une moitié Sud, représentatives respectivement du Ciel et de la Terre. En faisant d'une moitié de l'espace habité un « Ciel » symbolique et de l'autre une « Terre » symbolique, elle faisait plus que permettre aux membres des divers clans de s'orienter dans l'espace. Elle faisait des humains qui habitaient la moitié Nord des « Gens du Ciel » et de ceux qui habitaient la moitié sud des « Gens de la Terre ». Elle faisait entrer l'espace dans la tribu. Considérer la dualité comme constitutive du monde créé c’est reconnaître que le monde est issu d’une alliance. Une forte expression de l'importance que les Omaha accordaient à l’alliance peut être entendue dans la formule rapportée par La Flesche et Fletcher dans The Omaha Tribe : « La vie sous toutes ses formes résulte de l'union des forces du ciel et de la terre. La combinaison de ces deux forces cosmiques impose à l'homme une voie qu'il doit suivre et une loi d'après laquelle il doit se conduire s'il veut assurer la continuation de sa vie et celle de sa tribu. » Points de vue Entre les cinq tribus dont était formée la société Omaha, les Osage sont ceux qui ont donné le compte le plus circonstancié de cette forme d’organisation sociale et en même temps le plus à même de faire comprendre en quoi le dualisme est une façon d’incorporer l’esprit à la société, parce qu’il est une porte ouverte à la multiplicité dans une forme. Les Osage disaient qu’ils venaient du ciel, où ils avaient passé leur enfance avec leur mère la Lune. A leur adolescence, le Soleil les avait envoyés sur la Terre pour s'y faire des alliés. Lorsqu'ils y sont arrivés, ils n’y ont d’abord vu que de l’eau ; puis ils sont arrivés à une cascade qui leur a donné son nom, Wazha’zhe, « Donneur de Noms ». Se renommant alors eux-mêmes, ils se sont divisés en trois, Gens du Ciel, Gens de la Terre et Gens de l’Eau. Puis ils sont partis à la recherche des habitants avec le projet de les intégrer pour un quart dans la tribu qu’ils formeraient ensemble. Lorsqu’ils les eurent découverts et que ceux-ci eurent donné leur accord, les Osage leur enseignèrent qu’ils devaient commencer par parcourir le pays qu'ils habitaient dans toutes les directions, chaque famille de son côté, jusqu'à ce que toutes aient rencontré un être différent d’eux qui leur parlerait. Ils devraient s’engager à ne pas le tuer, ni lui ni aucun de son espèce. En échange, ils appendraient de cet être des chants de guérison, recevraient connaissances et protection, ainsi que le droit de se faire un signe distinctif à son image et de porter son nom. C’est ainsi que commença la quête totémique d’où est sortie la tribu Osage, par l'alliance entre Gens du Ciel, Gens de la Terre, Gens de l’Eau et autochtones. En réalité alliance des Célestes et des Terriens par la médiation de l’Eau. Le Roc vint alors de lui-même, et le Feu, par l’embrasement de l’Eclair, et la Voix du Tonnerre, comme leur dieu défenseur, fondateur du clan des «Yeux étincelants», Inshta'çu'da, gardien de la Porte de la Guerre, à l’entrée du cercle de la tribu. Le Roc prit place au fond avec le Vent comme dieux de la génération et des transformations imprévisibles. Rencontres A jamais perdus, à moins d'être à nouveau rêvés, les mythes d'origine des peuples du vent! Les Wazha’zhe quant à eux ont pieusement conservé la mémoire d’une histoire qui raconte qu’avant d’être des hommes ils étaient des esprits. Alors ils vivaient dans le ciel et la Terre étant entièrement recouverte d’eau. Tournoyant au-dessus des eaux, les esprits se demandaient où ils pourraient bien se poser. C’est alors que divers animaux leur vinrent en aide. L’un après l’autre, ils plongèrent pour ramener de la terre du fond de l'eau, mais aucun ne remonta à la surface. Puis vint l’élan qui, « de sa grosse voix », appela le vent. Le vent se rua des les quatre directions, ouest, nord, est, sud, et se rassembla en un point d'où il souleva l'eau qui forma un grand nuage. C'est depuis ce temps que le vent souffle des quatre directions ; jusque là il ne soufflait que du nord au sud et du sud au nord. Lorsqu'il vit la terre émerger, l'élan fou de joie se roula sur elle, et de ses poils naquirent les haricots, le maïs, les patates, le navets sauvages, toutes les herbes et tous les arbres. En mémoire de ce moment, les gens du clan Hon'ga le prirent pour totem et les Omaha en firent celui d'un de leurs deux clans gardiens de l'entrée du cercle sacré de la tribu, l’hu’thuga. Il y a bien des façons de raconter l’histoire du premier peuplement humain de la Terre. Du point de vue Omaha, ce ne sont ni l’élan ni le vent qui firent s’envoler l’eau. Ce fut le surgissement d’un immense roc surgi des profondeurs, qui s’enflamma. L'eau s’évapora. De son évaporation naquirent les nuages, et la terre apparut. De l'herbe et des arbres poussèrent. Les esprits descendirent alors sur la terre et devinrent chair et sang en se nourrissant des herbes et des fruits des arbres. « Et la terre vibra de leurs chants de reconnaissance envers Wakon'da », dit la légende. Cependant, certains firent remarquer que l’espace était encore trop étroit pour que des gens puissent y vivre. L’histoire fut alors reprise, répétée, transformée. Le rat musqué fut convoqué et envoyé dans l’eau à la recherche de terre, mais ne remonta pas ; le plongeon, envoyé à son tour, pas davantage, ni le castor ; aucun d’eux ne remonta. Seule la langouste, qui fut envoyée en quatrième, remonta ; quand elle ressortit elle avait de la boue accrochée à ses mandibules. C’est de cette boue que la terre fut formée. Un mythe crow rassemble en une seule histoire toutes ces plongées. Mais aux yeux des Lakota, la terre était encore trop étroite. Il fallut l’étirer. Ils ont imaginé une nouvelle histoire à ce sujet. Quoiqu’il en soit, c’est lorsque la terre eut fini d’émerger (premier « Après Déluge ») et qu’elle fut suffisamment étendue, que les esprits, transformés par la nourriture en hommes, parcourant cette terre, rencontrèrent d’autres hommes, avec qui ils imaginèrent le moyen de former une société. D’où venait leur conscience de devoir s'allier? Du Soleil, disent les Tzi-sho, chefs des Osage. Ils n’existeraient comme « peuple dans le monde » que lorsqu’ils pourraient représenter tous les éléments du monde, s’en reconnaître mutuellement garants avec tous les autres êtres vivants qu’ils rencontreraient et les disposer dans un habitat ordonné selon les sept couleurs de l’arc en ciel. Au commencement était la diversité Comment rassembler ce qui existait dans la diversité, comment l’ordonner pour que toutes les parties puissent communiquer entre elles? Par une combinaison de nombres issus d’une réflexion sur la nature du monde, répondirent les penseurs, les souffleurs, les chanteurs, les danseurs, les guérisseurs, les chamanes. Quatre, sept, neuf en particulier. Puis huit, puis seize. Ces nombres expliquent la variété des mythes identitaires. Ces mythes ne sont pas racontés par des gens de même origine. Que ce soit sur le passé ou sur le présent, ils n’ont pas le même point de vue. Se projetant dans l’avenir, ils importait aux Omaha, s’étant séparés des Lakota, de s’accorder sur la façon dont ils s’étaient divisés – et se diviseraient encore – pour pouvoir vivre en paix avec eux-mêmes et avec les autres. C’est pourquoi ils répartirent leurs clans sur des points symboliquement ouverts à l’univers dans le cercle de la tribu, dont ils firent un cercle sacré, l’hu’thuga. De cette manière ils pourraient participer, chacun avec ses pouvoirs et ses prérogatives particulières, au même cycle de cérémonies. L’enjeu spirituel Tout s’est décidé à partir de l’idée que la rencontre avec des êtres différents pouvait être féconde. Cette idée ne présumait d’aucune altérité ontologique entre hommes d’un côté et animaux de l’autre ; d’autant moins qu’un chamane était crédité du pouvoir de prendre l’apparence d’un animal, et réciproquement un animal pouvait se changer en être humain. De sorte qu’il pouvait se produire que l’on se sente plus proche d’un ours que d’un cannibale. Mais le lien contracté dans la rencontre avec un être différent ne pouvait être que symbolique, en raison d’un écart qui excluait la possibilité du mariage. Les alliances avec les êtres différents étaient des mariages d’esprit, dont la fécondité était gagée par des tabous alimentaires diversement répartis. Du tipi familial au cercle itinérant et au rassemblement de tous les tipis en un gros villages, tout habitat reproduisait le même modèle, était un concentré d’univers. Il y avait donc une méthode : incorporer tous les éléments du monde dans une symbolique qui n’avait de sens – et d’efficience – que si elle était gagée par des pactes, lesquels étaient d’abord des interdits ; à commencer par celui, s’agissant des animaux, de faire de la viande de ceux avec lesquels on s’allie. A cette condition, le dispositif symbolique pouvait arrimer l’esprit dans les corps. C’est-à-dire faire en sorte que la société soit humaine, dans le plein sens dévolu à l’espèce-douée-d’esprit dont elle reconnaissait faire partie. Etant bien entendu qu’on ne peut pas communiquer avec l’esprit de ce qu’on mange. Chez les Omaha, la moitié Nord était « spirituelle » et la moitié Sud « matérielle ». Fondement de l’unité de toute leur société, cette dualité (qui se déclinait en masculine, céleste, nocturne, astrale, d’une part, féminine, terrestre, diurne, végétale d’autre part, où le Soleil répondait à la Lune comme les graines aux astres) ne devait en aucun cas être brisée ; car ce n'était qu'en étant deux qu'elle pouvait former un corps viable, c’est-à-dire à la fois « social » et « mondial ». C'est à quoi œuvrait leur organisation matrimoniale : il s'agissait d'actualiser sa condition cosmique comme union du matériel et du spirituel. Chaque clan étant détenteur d'un rite qui le liait à une partie du monde, tous devaient combiner leurs capacités pour accomplir des cérémonies visant à ce que leurs deux moitiés restent indissociablement liées, comme la terre l'était au ciel. Les clans pouvaient satisfaire à ces conditions en coopérant de manière à rendre co-agissantes les capacités dont chacun s'était d'abord doté « en devenant un peuple en s'alliant avec un animal », c’est-à-dire en devenant « parlant » à l’échelle du monde – en ayant et en tenant une parole qui soit à la hauteur du monde. Parole fondée sur des alliances qui devaient permettre une communication spirituelle entre gens de toutes les espèces. Tel était le but, mûrement réfléchi, des sociétés où s’entendait la voix des guérisseurs qui n’étaient pas devenus des sorciers dans la poursuite de leurs propres intérêts. Une mythologie en résultait, que certains chamanes ont développé en expliquant le non-droit de tuer par une parenté originelle entre toutes les espèces, contenue au commencement du temps dans une seule et même graine. D’autres ont évoqué une calebasse descendue du ciel qui contenait « toutes les graines ». Entre unité et diversité originelle se sont inventé d’infinies modalités. Dans tous les cas le but était le même : faire exister quelque chose d’équilibré dans la société qui lui permette de vivre en paix avec elle-même et avec les autres créatures de la terre, de l’eau et du ciel, et de se maintenant en bonne santé. Avant de se soucier de soigner, créer les conditions de la bonne santé. Ce but posé, et les moyen d’y parvenir exposés, il devenait loisible aux hommes et aux femmes de se constituer librement en unités collectives distinctes, nommables, reconnaissables, reproductibles, mouvantes, communicantes, pensantes, agissantes, célébrantes – et cosmiquement participantes. C'est-à-dire en tribus. Ils avaient satisfait aux conditions minimales et, en quelque sorte, franchi le « rite de passage » pour constituer sur la terre une véritable société humaine, selon la conception que les gens de langue sioux s'en faisaient. Cette conception fut mise en œuvre dans les immenses forêts autour des grands lacs, au temps du poteau sacré en bois cèdre, de la cueillette, de la culture du maïs et d’une chasse rigoureusement assujettie aux observances totémiques, avant de devenir un rêve évanescent, récurrent, désespérant, une fois franchi le Mississipi et goûté au vertige de la Prairie, en attendant l’ivresse du « commerce des peaux », des chevaux, des fusils, des dollars et du whisky – puis des massacres des troupeaux de bisons sans contrepartie ; enfin d’eux-mêmes. Ce rêve avait été une réalité vécue en commun jusqu’à un certain point par tous les Lakota, avec qui les Omaha ne faisaient qu’un à l’époque, révolue dès le XVIIIème siècle, où ils invitaient « les êtres différents » à leurs conseils, et ne s’appelaient ni U’kite, ni Omaha, ni Dhegiha, ni Lakota, mais Hon’ga, « Ceux d’Avant, les Anciens »… Les Lakota disaient qu’ils venaient de dans la terre. Ils formaient sept tribus, mais n’avaient pas de clans. Les Omaha étaient formés de cinq tribus : les Omaha, les Osage, les Ponca, les Kansa et les Quapaw. Les Omaha disaient qu’ils venaient de l’eau, les Osage du ciel, et les Kansa du vent. Tous avaient approximativement les mêmes clans.Les clans venaient de l’alliance contractée entre une personne humaine et un animal.Il était important pour chaque tribu de situer avec précision ces clans dans l'espace, pour une raison pédagogique notamment : permettre aux enfants d’apprendre dès leur jeune âge à quelle moitié ils appartenaient. Un enfant vivant dans la moitié de sa mère ne s’aventurait pas sans risques dans la moitié de son père, où il se faisait rabrouer plaisamment. Chez les Omaha, les époux étaient issus de moitiés opposées; on ne se mariait pas dans sa moitié, mais dans l’autre uniquement. Il y avait à cela une raison supérieure, une raison spirituelle. Cette raison supposait la construction d'un dispositif symbolique dans lequel les éléments constituants de la société devaient occuper chacun une place déterminée, pour pouvoir reproduire ensemble une dualité considérée comme constitutive du monde créé. C’est cette raison en rapport avec l’infini qui était déterminante de la répartition des clans dans le cercle de la tribu, entre une moitié Nord et une moitié Sud, représentatives respectivement du Ciel et de la Terre. En faisant d'une moitié de l'espace habité un « Ciel » symbolique et de l'autre une « Terre » symbolique, elle faisait plus que permettre aux membres des divers clans de s'orienter dans l'espace. Elle faisait des humains qui habitaient la moitié Nord des « Gens du Ciel » et de ceux qui habitaient la moitié sud des « Gens de la Terre ». Elle faisait entrer l'espace dans la tribu.Considérer la dualité comme constitutive du monde créé c’est reconnaître que le monde est issu d’une alliance. Une forte expression de l'importance que les Omaha accordaient à l’alliance peut être entendue dans la formule rapportée par La Flesche et Fletcher dans The Omaha Tribe : « La vie sous toutes ses formes résulte de l'union des forces du ciel et de la terre. La combinaison de ces deux forces cosmiques impose à l'homme une voie qu'il doit suivre et une loi d'après laquelle il doit se conduire s'il veut assurer la continuation de sa vie et celle de sa tribu. »Points de vueEntre les cinq tribus dont était formée la société Omaha, les Osage sont ceux qui ont donné le compte le plus circonstancié de cette forme d’organisation sociale et en même temps le plus à même de faire comprendre en quoi le dualisme est une façon d’incorporer l’esprit à la société, parce qu’il est une porte ouverte à la multiplicité dans une forme. Les Osage disaient qu’ils venaient du ciel, où ils avaient passé leur enfance avec leur mère la Lune. A leur adolescence, le Soleil les avait envoyés sur la Terre pour s'y faire des alliés. Lorsqu'ils y sont arrivés, ils n’y ont d’abord vu que de l’eau ; puis ils sont arrivés à une cascade qui leur a donné son nom, Wazha’zhe, « Donneur de Noms ». Se renommant alors eux-mêmes, ils se sont divisés en trois, Gens du Ciel, Gens de la Terre et Gens de l’Eau. Puis ils sont partis à la recherche des habitants avec le projet de les intégrer pour un quart dans la tribu qu’ils formeraient ensemble. Lorsqu’ils les eurent découverts et que ceux-ci eurent donné leur accord, les Osage leur enseignèrent qu’ils devaient commencer par parcourir le pays qu'ils habitaient dans toutes les directions, chaque famille de son côté, jusqu'à ce que toutes aient rencontré un être différent d’eux qui leur parlerait. Ils devraient s’engager à ne pas le tuer, ni lui ni aucun de son espèce. En échange, ils appendraient de cet être des chants de guérison, recevraient connaissances et protection, ainsi que le droit de se faire un signe distinctif à son image et de porter son nom.C’est ainsi que commença la quête totémique d’où est sortie la tribu Osage, par l'alliance entre Gens du Ciel, Gens de la Terre, Gens de l’Eau et autochtones. En réalité alliance des Célestes et des Terriens par la médiation de l’Eau.Le Roc vint alors de lui-même, et le Feu, par l’embrasement de l’Eclair, et la Voix du Tonnerre, comme leur dieu défenseur, fondateur du clan des «Yeux étincelants», Inshta'çu'da, gardien de la Porte de la Guerre, à l’entrée du cercle de la tribu.Le Roc prit place au fond avec le Vent comme dieux de la génération et des transformations imprévisibles. RencontresA jamais perdus, à moins d'être à nouveau rêvés, les mythes d'origine des peuples du vent! Les Wazha’zhe quant à eux ont pieusement conservé la mémoire d’une histoire qui raconte qu’avant d’être des hommes ils étaient des esprits. Alors ils vivaient dans le ciel et la Terre étant entièrement recouverte d’eau.Tournoyant au-dessus des eaux, les esprits se demandaient où ils pourraient bien se poser. C’est alors que divers animaux leur vinrent en aide. L’un après l’autre, ils plongèrent pour ramener de la terre du fond de l'eau, mais aucun ne remonta à la surface. Puis vint l’élan qui, « de sa grosse voix », appela le vent.Le vent se rua des les quatre directions, ouest, nord, est, sud, et se rassembla en un point d'où il souleva l'eau qui forma un grand nuage. C'est depuis ce temps que le vent souffle des quatre directions ; jusque là il ne soufflait que du nord au sud et du sud au nord.Lorsqu'il vit la terre émerger, l'élan fou de joie se roula sur elle, et de ses poils naquirent les haricots, le maïs, les patates, le navets sauvages, toutes les herbes et tous les arbres.En mémoire de ce moment, les gens du clan Hon'ga le prirent pour totem et les Omaha en firent celui d'un de leurs deux clans gardiens de l'entrée du cercle sacré de la tribu, l’hu’thuga.Il y a bien des façons de raconter l’histoire du premier peuplement humain de la Terre. Du point de vue Omaha, ce ne sont ni l’élan ni le vent qui firent s’envoler l’eau. Ce fut le surgissement d’un immense roc surgi des profondeurs, qui s’enflamma. L'eau s’évapora. De son évaporation naquirent les nuages, et la terre apparut. De l'herbe et des arbres poussèrent. Les esprits descendirent alors sur la terre et devinrent chair et sang en se nourrissant des herbes et des fruits des arbres. « Et la terre vibra de leurs chants de reconnaissance envers Wakon'da », dit la légende.Cependant, certains firent remarquer que l’espace était encore trop étroit pour que des gens puissent y vivre. L’histoire fut alors reprise, répétée, transformée. Le rat musqué fut convoqué et envoyé dans l’eau à la recherche de terre, mais ne remonta pas ; le plongeon, envoyé à son tour, pas davantage, ni le castor ; aucun d’eux ne remonta. Seule la langouste, qui fut envoyée en quatrième, remonta ; quand elle ressortit elle avait de la boue accrochée à ses mandibules. C’est de cette boue que la terre fut formée. Un mythe crow rassemble en une seule histoire toutes ces plongées.Mais aux yeux des Lakota, la terre était encore trop étroite. Il fallut l’étirer. Ils ont imaginé une nouvelle histoire à ce sujet.Quoiqu’il en soit, c’est lorsque la terre eut fini d’émerger (premier « Après Déluge ») et qu’elle fut suffisamment étendue, que les esprits, transformés par la nourriture en hommes, parcourant cette terre, rencontrèrent d’autres hommes, avec qui ils imaginèrent le moyen de former une société.D’où venait leur conscience de devoir s'allier? Du Soleil, disent les Tzi-sho, chefs des Osage. Ils n’existeraient comme « peuple dans le monde » que lorsqu’ils pourraient représenter tous les éléments du monde, s’en reconnaître mutuellement garants avec tous les autres êtres vivants qu’ils rencontreraient et les disposer dans un habitat ordonné selon les sept couleurs de l’arc en ciel.Au commencement était la diversité Comment rassembler ce qui existait dans la diversité, comment l’ordonner pour que toutes les parties puissent communiquer entre elles? Par une combinaison de nombres issus d’une réflexion sur la nature du monde, répondirent les penseurs, les souffleurs, les chanteurs, les danseurs, les guérisseurs, les chamanes. Quatre, sept, neuf en particulier. Puis huit, puis seize.Ces nombres expliquent la variété des mythes identitaires. Ces mythes ne sont pas racontés par des gens de même origine. Que ce soit sur le passé ou sur le présent, ils n’ont pas le même point de vue.Se projetant dans l’avenir, ils importait aux Omaha, s’étant séparés des Lakota, de s’accorder sur la façon dont ils s’étaient divisés – et se diviseraient encore – pour pouvoir vivre en paix avec eux-mêmes et avec les autres.C’est pourquoi ils répartirent leurs clans sur des points symboliquement ouverts à l’univers dans le cercle de la tribu, dont ils firent un cercle sacré, l’hu’thuga.De cette manière ils pourraient participer, chacun avec ses pouvoirs et ses prérogatives particulières, au même cycle de cérémonies.L’enjeu spirituelTout s’est décidé à partir de l’idée que la rencontre avec des êtres différents pouvait être féconde. Cette idée ne présumait d’aucune altérité ontologique entre hommes d’un côté et animaux de l’autre ; d’autant moins qu’un chamane était crédité du pouvoir de prendre l’apparence d’un animal, et réciproquement un animal pouvait se changer en être humain. De sorte qu’il pouvait se produire que l’on se sente plus proche d’un ours que d’un cannibale. Mais le lien contracté dans la rencontre avec un être différent ne pouvait être que symbolique, en raison d’un écart qui excluait la possibilité du mariage. Les alliances avec les êtres différents étaient des mariages d’esprit, dont la fécondité était gagée par des tabous alimentaires diversement répartis.Du tipi familial au cercle itinérant et au rassemblement de tous les tipis en un gros villages, tout habitat reproduisait le même modèle, était un concentré d’univers. Il y avait donc une méthode : incorporer tous les éléments du monde dans une symbolique qui n’avait de sens – et d’efficience – que si elle était gagée par des pactes, lesquels étaient d’abord des interdits ; à commencer par celui, s’agissant des animaux, de faire de la viande de ceux avec lesquels on s’allie.A cette condition, le dispositif symbolique pouvait arrimer l’esprit dans les corps. C’est-à-dire faire en sorte que la société soit humaine, dans le plein sens dévolu à l’espèce-douée-d’esprit dont elle reconnaissait faire partie. Etant bien entendu qu’on ne peut pas communiquer avec l’esprit de ce qu’on mange.Chez les Omaha, la moitié Nord était « spirituelle » et la moitié Sud « matérielle ». Fondement de l’unité de toute leur société, cette dualité (qui se déclinait en masculine, céleste, nocturne, astrale, d’une part, féminine, terrestre, diurne, végétale d’autre part, où le Soleil répondait à la Lune comme les graines aux astres) ne devait en aucun cas être brisée ; car ce n'était qu'en étant deux qu'elle pouvait former un corps viable, c’est-à-dire à la fois « social » et « mondial ».C'est à quoi œuvrait leur organisation matrimoniale : il s'agissait d'actualiser sa condition cosmique comme union du matériel et du spirituel. Chaque clan étant détenteur d'un rite qui le liait à une partie du monde, tous devaient combiner leurs capacités pour accomplir des cérémonies visant à ce que leurs deux moitiés restent indissociablement liées, comme la terre l'était au ciel.Les clans pouvaient satisfaire à ces conditions en coopérant de manière à rendre co-agissantes les capacités dont chacun s'était d'abord doté « en devenant un peuple en s'alliant avec un animal », c’est-à-dire en devenant « parlant » à l’échelle du monde – en ayant et en tenant une parole qui soit à la hauteur du monde. Parole fondée sur des alliances qui devaient permettre une communication spirituelle entre gens de toutes les espèces. Tel était le but, mûrement réfléchi, des sociétés où s’entendait la voix des guérisseurs qui n’étaient pas devenus des sorciers dans la poursuite de leurs propres intérêts.Une mythologie en résultait, que certains chamanes ont développé en expliquant le non-droit de tuer par une parenté originelle entre toutes les espèces, contenue au commencement du temps dans une seule et même graine. D’autres ont évoqué une calebasse descendue du ciel qui contenait « toutes les graines ». Entre unité et diversité originelle se sont inventé d’infinies modalités.Dans tous les cas le but était le même : faire exister quelque chose d’équilibré dans la société qui lui permette de vivre en paix avec elle-même et avec les autres créatures de la terre, de l’eau et du ciel, et de se maintenant en bonne santé. Avant de se soucier de soigner, créer les conditions de la bonne santé.Ce but posé, et les moyen d’y parvenir exposés, il devenait loisible aux hommes et aux femmes de se constituer librement en unités collectives distinctes, nommables, reconnaissables, reproductibles, mouvantes, communicantes, pensantes, agissantes, célébrantes – et cosmiquement participantes. C'est-à-dire en tribus. Ils avaient satisfait aux conditions minimales et, en quelque sorte, franchi le « rite de passage » pour constituer sur la terre une véritable société humaine, selon la conception que les gens de langue sioux s'en faisaient.Cette conception fut mise en œuvre dans les immenses forêts autour des grands lacs, au temps du poteau sacré en bois cèdre, de la cueillette, de la culture du maïs et d’une chasse rigoureusement assujettie aux observances totémiques, avant de devenir un rêve évanescent, récurrent, désespérant, une fois franchi le Mississipi et goûté au vertige de la Prairie, en attendant l’ivresse du « commerce des peaux », des chevaux, des fusils, des dollars et du whisky – puis des massacres des troupeaux de bisons sans contrepartie ; enfin d’eux-mêmes.Ce rêve avait été une réalité vécue en commun jusqu’à un certain point par tous les Lakota, avec qui les Omaha ne faisaient qu’un à l’époque, révolue dès le XVIIIème siècle, où ils invitaient « les êtres différents » à leurs conseils, et ne s’appelaient ni U’kite, ni Omaha, ni Dhegiha, ni Lakota, mais Hon’ga, « Ceux d’Avant, les Anciens »…
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« S’accomplir en s’alliant avec des êtres différents »
Un développement possible des enseignements de Shu'denaçi
Un mirage anthropologique : l’altérité.
Le sexe n’est pas l’altérité : c’est la complémentarité.
La race n’est pas l’altérité : c’est la diversité.
L’altérité commence avec l’espèce : c’est la multiplicité.
C’est le degré zéro de la spiritualité. La conscience que tous les vivants forment une communauté. La communauté des vivants terrestres. Des Terriens.
Le degré suivant – degré 1 – est la communauté des esprits cosmiques.
Ouf ! me dira-t-on, mais qu’est-ce que vous faites de la diversité culturelle ?
Je répondrai que la diversité culturelle n’a rien à voir avec l’altérité et que ceux qui sont allés la chercher de ce côté se sont trompés ; tout comme ceux qui l’ont cherchée du côté de la sexualité. La diversité culturelle est un effet de la multiplicité du vivant manifestée dans le fait qu’il n’y a pas deux individus semblables – pas plus chez les humains que chez les autres êtres vivants.
Il fut un temps où chaque société était unique : c’est lorsqu'elles étaient assez petites et avaient assez d’espace pour vivre à leur guise sans être persécutées ou molestées.
Dans ce sens antédiluvien, chaque culture est singulière, comme chaque individu est singulier. La diversité culturelle et une affaire de singularité assumée collectivement. Elle n'a rien à voir avec l'altérité qui est un rapport avec des vivants non terrestres.
Cette diversité mise à part, on peut dire que toutes les sociétés ont trois choses en commun.
La première, c’est d’être obligatoirement formée d’individus des deux sexes pour pouvoir se reproduire.
Une sœur et un frère – et non un homme et une femme.
Arrêtons-nous sur ce point. Il n'a pas toujours été bien interprété.
Quand on dit « une sœur et un frère » plutôt qu’ « un homme et une femme », on veut dire une femme et son double : la même en deux.
Car c’est bien évidemment la femme, donneuse de vie, qui dans le mythe inaugural où la pensée de la vie est remontée à une origine, a créé son fécondateur ; ainsi Gaia la Terre primordiale a créé, en rêvant, le Ciel étoilé Ouranos, dont elle aurait pu se passer, ayant la capacité de se reproduire elle-même par parthénogénèse – ce qu’elle avait préalablement fait surabondamment.
Pourquoi alors a-t-elle créé le ciel étoilé ?
Vous avez bien lu.
Peut on encore aujourd'hui se demander : "Pourquoi la Terre a-t-elle créé le Ciel ?"
L'ignorance à parfois de ces raccourcis qui font rêver.
Il arrive aussi que la Science-Fiction rejoigne le Mythe.
Cette èvaporation cosmique...
Un mythe qui manque me hante. Il a pour titre:
"Il était une femme"
Pourquoi la Terre a-t-elle créé le Ciel Etoilé ?
Pour qu'il la féconde.
Pourquoi avait-elle besoin qu'il la féconde, alors qu'elle pouvait donner naissance à d'innombrables créatures (qui seront plus tard qualifiés de monstres) sans l’aide de personne ?
Pour introduire de la diversité chez les enfants de la terre.
L’alliance Terre-Ciel Étoilé est le modèle archétypal, mis à mal par les mythologies patriarcale (à commencer par celle, à l’ironie cachée, d'Hésiode), du complexe de la "mère-vengeresse-armant-son-fils-contre-son-père" (Kronos émasculant Ouranos), que le complexe d’Œdipe, coupé de ses racines cosmiques avec les Tragiques, a enterré.
Une sœur et son frère : tel est le couple isis-osirien primordial, pensé par les peuples libres comme modèle de survie minimal, "au cas où il n’en resterait que deux".
Etant de même sang, c’est une sœur et son frère qu'il fallait sauver.
Voire, une fille seulement, qui créerait son frère-fils-amant imaginairement, le ferait naître « autre » de son rêve, sous quelque apparence qu’il lui plaise ensuite de la féconder.
Solution rêvée qui rassemble en une seule figure inaugurale le mariage aventureux avec l’étranger, le tout autre, éventuellement cannibale, et l’inceste fondateur inévitable, si l’un doit sortir de l’autre pour être le même et s’en différencier, à partir de quoi le mariage entre soi pourra, sans inceste, se pratiquer.
Car dès la génération suivante cette figure s'ouvre en éventail et forme un système, le système du mariage entre cousins croisés (appelé « crow-omaha » par les ethnologues), connu comme le B-A BA de l’alliance dans la parenté pratiquée par tous les peuples traditionnels : où une femme peut épouser le fils de sa tante paternelle ou de son oncle maternel, mais pas celui du frère de son père ou de la sœur de sa mère – les « parallèles » – assimilables à des frères.
La distinction pertinente, sans tragédie ni complexe d’Œdipe, n’est pas celle qui vient de la généalogie, mais des possibilités d'alliance qu’offre la différence entre une sœur et son frère.
C’est-à-dire du sexe donné à la naissance, où toute fille a un frère en puissance, et toute garçon une sœur.
Quant à la possibilité de la reproduction comme première condition pour former une société, dire "une sœur et un frère" plutôt que "un homme et une femme", cela veut dire : construire un modèle auquel on puisse remonter et d'où on puisse redescendre, non seulement comme à une condition naturelle (la dichotomie sexuelle), et en tout cas pas comme à une condition imposée de manière restrictive, mais comme à une condition qui peut être pensée, et qui doit l'être, parce qu' en tant que condition naturelle elle ne contient pas tout le mode d'emploi. Elle pose une condition, elle donne une orientation générale, mais il y a une chose qu'elle ne dit pas, ce sont les mille et une façons d'utiliser la possibilité naturelle, qui feront de la possibilité retenue une coutume et de cette coutume un signe d'identité, qui pourra être tressé et retressé de génération en génération.
Preuve par l'opposé : La liberté de pensée qui s'exerce dans ce genre de modélisation va de pair avec l' ouverture du cœur. On le voit bien au privilège accordé, sur toute autre relation, à l'adoption des étrangers, dans les sociétés éprises d'alliances. Chez les peuples de langue sioux cette coutume, prisée entre toutes, s'appelle hunka.
Le second dénominateur commun à toutes les sociétés humaines est leur capacité d’assurer leur survie en coopérant entre elles, ainsi qu’avec tous les êtres vivants avec qui elles partagent un même territoire, sans le détériorer; limite non écrite qui n’en est pas moins une Constitution au sens de condition tacite ou Loi universelle, quoique, contrairement au bon sens, elle ne soit pas la chose du monde la mieux partagée.
Le troisième dénominateur commun à toutes les sociétés humaines est leur capacité de se défendre contre d’éventuelles agressions meurtrières.
Dans les sociétés volontaires fondées sur l'interdit de tuer, c'est une autre limite. Non-violence oui, mais armée.
Quelle inconscience ce serait d'ajouter à la non-violence l'incapacité de se défendre !
Or l’alliance avec toutes les créatures (avec les obligations correspondantes) n’est pas un dénominateur commun à toutes les sociétés humaines : c’est le critère devenu rarissime à partir duquel l'aventure de l'altérité peut commencer.
Où on joue sur la Terre la compatibilité des univers. Où la compatibilité des univers devient un jeu de sociétés.
La société humaine actuelle, dans son unité mondiale imposée, a un commun dénominateur qui n’a rien à voir avec ce qui précède : l’assujettissement du nombre dans l’uniformité.
C’est le point où les sociétés volontaires cessent d’exister, en faisant passer leurs membres du statut de « peuples » à celui de « populations », où les survivants d'un monde possible sont soumis à des contraintes technologiques infiniment plus oppressantes que celle de la nature – hiérarchiques, à sens unique, usurières, stériles, sans réciprocité.
Le XXème siècle a vécu dans la hantise d’une élimination massive de l'humanité par une guerre nucléaire. C’est une mutation qui est en train d’arriver. La IIIème Guerre Mondiale ne sera pas nucléaire. Elle sera - elle est déjà – une guerre contre la possibilité de l’altérité.
QUESTION
Michel Kokoreff : Sommes-nous entrés dans le post-humain ?
Réponse de Jean Monod : Entre le pré-humain, le post-humain, le sous-humain et le surhumain, j'ai l'impression qu'on est un peu dans le flou aujourd'hui. Comme un cercle qui ne reconnaitrait plus sa circonférence parce qu’il ne trouverait plus son centre. Cercle mouvant, devenu ellipse en avançant, cercle s'élidant en changeant de centre…
Dans une vision statique, une ellipse a deux centres. En réalité c'est le même qui avance, parce qu’une ellipse est un cercle qui avance. Son centre va d’un point à un autre.
Rapportée à l’humain, cette mise au point revient à dire qu’il s'agit de passer d'une vision statique à une vision dynamique de l'humain. En prenant acte du fait qu’on est en train de passer d'un modèle de l'humain à un autre, compte NON TENU de beaucoup d'autres.
C'est toujours l'Occident qui parle pour tous les autres. Universellement. De lui-même à lui-autre. Sans changer de religion, fondamentalement.
Il est remarquable que pour tenter de sortir de ce solipsisme, les ethnologues parlent aujourd’hui de réconcilier l’humain avec le non-humain. Mais qu’est-ce que c’est que cette opposition humain/non humain, sinon un nouveau binarisme à la 1% ? D’un côte l’humain, de l’autre tous les autres – qui sont de moins en moins nombreux dans leur diversité attaquée par l’humain. Sans que cet humain songe un seul instant qu’il puisse y avoir, derrière, un Tout Autre - infiniment. Et qu’on puisse en arriver un jour, par élimination de l’infini, à une vraie opposition binaire, à égalité de part et d’autre : L’Humain/Le Non-Humain. Voire l’Humain/L’Anti-Humain. Dualisme préludant à la victoire de l’Autre sur l’Un – et le vainqueur sera bien sûr le Surhumain, le seul vraiment humain!
La question, pour changer de direction, n’est pas d’améliorer les rapports entre les humains et les non-humains, mais d’en finir une fois pour toutes avec le statut à part de l’humain, c’est-à-dire avec le monothéisme, jadis masqué en dualisme, aujourd’hui en binarisme. La question est de redéfinir l’humain, non pas comme une entité, un modèle ou un idéal - un être à part - mais comme UNE FORME VIVANTE PARMI L’INFINITE DES AUTRES. Infinité qui est une mesure d’infini dans le monde terrien.
Avec, pour faire bref vis-à-vis des adeptes de la « supériorité de l’humain », des qualités qui ne vont pas sans de graves défauts… Forme vivante, en tout état de cause, qui a eu, au cours de sa brève existence, un impact assez négatif sur toutes les autres pour qu’on se soucie, avec celles qui restent, par priorité, de leur préservation. Ce qui met l’humain dans la position d’avoir à reconsidérer ses besoins par rapport aux dommages que cause son usage inconsidéré du monde.
Dans cette perspective, on pourrait voir l’humain comme une forme vivante qui aurait à cœur de se réinventer continuellement dans de nouvelles rencontres, sur la base d’un principe valorisant les alliances infinies et excluant la solution qui consiste à éliminer (physiquement et/ou mentalement) l'autre, pour résoudre le désagrément que lui cause sa différence.
Le problème c'est qu'il y a de moins en moins d'êtres différents sur la terre. La perte de la biodiversité est une perte d’infini. Plus d’inépuisabilité, plus d’infini dans le vivant. Quel grand malheur ! D’un côté, de moins en moins en moins d’espèces différentes ; de plus en plus d’humains indifférents de l’autre. Symétrique de la massification de l’humain, une limite dans la réduction de la biodiversité a été franchie. Ce sont les deux faces de la même catastrophe. La perte de l’infini sur la terre dans l’indifférence.
Dans les deux sens su mot indifférence, de « non-différence » et de quelque chose de massif dans l’indifférence avec laquelle on est en train d’entrer dans le post-humain, où 1% de surhumains auto-proclamés s’organisent avec plusieurs longueur d’avance pour gérer comme un troupeau 99% d’êtres humains qu’ils considèrent comme des moins que rien.
Des sous-humains qui ne doivent leur survie sur leur planète - qu’ils ont perdue - qu’à leur « bienveillance ».
Peut-être que dans l’ère post-atomique, post-pandémique, post-cataclysmique où vivront nos arrière-arrière-arrière-arrière petits enfants, autour disons de 2150, on ne pourra plus être humain sur la terre qu’imaginairement ? Si c'est le cas, quels commerces en perspective!
D’ici là, quelles résistances…
Une épidémie qui vient du ventre
On a d’abord détruit la biodiversité par négligence. On massacre aujourd’hui des élevages par prudence. Par millions. Pour protéger l'humanité.
Pourquoi ne les soigne-t-on pas ?
Trop nombreux. Donc trop chers à soigner. Ils étaient destinés à être tués de toute façon.
Source de profit, leur nombre se retourne en manque à gagner.
De l’horreur des massacres, pas un mot dans les médias à la solde.
Animaux massacrés, humains enfermés : l’asymétrie du traitement masque le fait qu’il relève d’une problématique identique, d'un nombre en excès à gérer.
Les animaux massacrés ne seront pas mangés, donc ils ne contamineront pas les humains par ingestion. Mais ils sont devenus contaminants par l’industrie de l'enfermement. Et ils n’ont pas fini de contaminer viralement, tant qu’il seront soumis à de mauvais traitements. En amont ce sont bien les humains qui fabriquent la contamination. Et le massacre. Et leur propre enfermement.
Cercle vicieux de l’enfermement.
On rêve d’un Manifeste des Animaux qui remettrait l’histoire sur ses pieds.
« Cessez de pleurer sur vos libertés. Prenez acte de notre massacre – depuis des milliers d'années. Les mangeurs de viande nous doivent des comptes. Comme si le cancer, le sida, l’ebola, etc. ne suffisaient pas, il leur fallait une seule maladie pour tout le monde… »
Quoi de plus puissant qu’un virus humainement créé pour uniformiser l’humanité dans la même interdiction de se rencontrer ?
La diversité du vivant nivelée géographiquement a de fortes chances de ressurgir en mutations incontrôlées.
Et comme tout cela vient de la maltraitance animale poussée à l’échelle mondiale, une solution de bon sens s’impose : y mettre fin.
NI VACCIN NI VIANDE.
SIMPLEMENT CESSER LA MALTRAITANCE.
Cela pourrait être fait du jour au lendemain par décret, comme le confinement.
En réalité cela ne pourra se faire que par décision majoritaire.
Donc ça prendra du temps.
Installons-nous dans ce temps : il est nôtre.
En un an nous n’avons pas le temps de mettre fin au régime présidentiel. En revanche, nous avons le temps de présidentialiser notre majorité.
D’ici là, comme toute cause réelle, dans la société nouvelle où les causes irréelles font l'actualité, il est à craindre que la relation entre maltraitance animale et épidémies virales tombe sous le coup d'un interdit de penser.
Comme l’anti-étatisme, comme le complotisme.
En France, la chasse à courre et la chasse tout court, minoritaires, continuent à tenir le haut du pavé. La chasse à la pensée trépigne de se lancer.
Si on ne fixe pas un pourcentage minimal pour que l’élection d’un président de la République soit légitime, la stratégie abstentionniste part perdante, c’est le FN qui sera l’arbitre des élections, et à nouveau on sera refait.
Mais si la stratégie abstentionniste gagne, il faudra avoir veillé à avoir pris le temps de discuter de comment nous entendons nous gouverner nous-mêmes ; temps qui sera gagné sur celui qu’on perd à brandir des revendications au nez de gouvernants dont la fonction est d’empêcher que le gouvernement des gens par eux-mêmes advienne.
Les meilleures injonctions sont celles qu'on s'adresse à soi-même.
« Les hommes doivent se gouverner eux-mêmes », déclare à des hommes une pierre parlante venue de Proxima III dans une nouvelle que Philip Dick a écrit le 6 avril 1954. L’interlocuteur vacillant se retient de penser : « Et quand ils ne se gouvernent plus eux-mêmes ils ne sont plus des hommes ? »
A propos de l’anthropologie anarchiste
Quelle est la principale différence entre toutes les sociétés ?
Y a-t-il un critère décisif de différenciation entre sociétés (1) bisexuelles, (2) pratiquant la coopération, et (3) dotées de la capacité de se défendre ?
Un critère de différenciation autre que l’écart entre « sauvagerie » et « civilisation » jusqu’à son point de retournement, auquel nous assistons aujourd’hui, où les chasseurs ne sont pas seuls à se conduire « comme des bêtes », selon l’acception qu’ils s’en font : consciemment ou non, tous les mangeurs de viande le font.
Un meilleur critère (car sans jugement de valeur ni a priori) serait celui qui, partant d’un constat universel, opposerait les « sociétés libres » aux « populations asservies » ou dépendantes ; libres étant celles qui ont conservé la capacité de se fonder à partir de ce qu’elles considèrent comme les conditions nécessaires pour former une société à leur idée.
Ces conditions sont en passe de n'être plus remplies aujourd’hui sur la planète en raison des progrès de la privatisation de celle-ci (hier la terre, aujourd’hui l’eau, demain l’air, après-demain la peau, et d’ores et déjà l’inconscient) par les détenteurs de la puissance industrielle.
Ce n’en est pas moins ce critère que retient l’anthropologie anarchiste, qui oppose les sociétés sans Etats aux sociétés étatisées.
Opposition fondamentale. On pourrait aller jusqu’à dire que l’Etat est la forme entropique de toute société -- la forme que prend une société lorsqu’elle perd sa liberté, sa fluidité. Lorsqu’elle est « occupée », circonvenue, figée. Etatisée.
Il n’empêche que le critère de la liberté politique (que l’anthropologie anarchiste tient pour décisif) est moins radical qu’il ne parait, et est en ce sens à la fois abusif et insuffisant.
Il ne tient pas compte en effet du rapport de la société au monde auquel elle doit la vie. Il ne tient pas compte en particulier de ce qui différencie, au sein des sociétés politiquement libres (non-entropiques), celles qui se font une règle de « rendre pour ce qu’elles prennent » et celles qui « prennent sans rendre », et à partir de là sont entraînées dans une spirale de prédations dont elles ne peuvent plus se dépêtrer.
Le critère anarchiste ne tient pas compte des sociétés qui s’interrogent sur le droit de prendre, à commencer par la vie d’autrui ; en entendant par autrui tout être vivant.
C’est-à-dire celles qui posent au fondement de tout contrat de société la question du droit de tuer. Et qui pratiquent donc la réciprocité – la première réciprocité étant celle qui est due envers la puissance d’où vient la vie, quel que soit le nom que l'on donne à cette puissance.
Réciprocité dont l’expression minimale est la reconnaissance -- dans tous les sens du terme, à commencer par la reconnaissance de la vie comme don, et de la viabilité de la condition terrestre. Reconnaissance spirituelle, de haute politique, fondatrice de la possibilité de poser dans la société la question de la justice.
C’est ce rapport de reconnaissance, me semble-t-il, qui manque dans la conception anarchiste, mais en approfondit le sens.
La capacité de reconnaissance marque entre sociétés une différence qui est aussi valable à l’échelle de toute une civilisation qu'à l’échelon individuel.
C’est le seul critère qui ne tombe pas dans le piège de postuler une « nature humaine », donc des instincts généralement mauvais, genre « instinct guerrier » ou « meurtrier » et autres « pulsions de mort » ancrés par décret pseudo-scientifique, en réalité théologique en chacun de nous – tout en réservant une « supériorité » d’exception, innée ou cultivée, à une élite destinée à dominer. Instincts qui, du coup, peuvent être retournés et valorisés en « vocation de conquête » propre à une civilisation supérieure, à une religion ou à une race agissant au nom de l’humanité sublimée par ses sacrifices.
Du non-droit de tuer
La façon dont le droit de tuer s'est introduit dans les sociétés humaines est un mystère d'autant plus difficile à pénétrer qu'il s'est répandu avec l'accroissement de la population humaine au point de devenir un dogme forcené, statuant contradictoirement sur la « nature animale » de l'homme et un « droit supérieur » qui le mettrait à part de tous les autres êtres vivants.
Ce sera une des tâches de l'anthropologie future d'en débusquer les ressorts cachés – que l'on a tenté dans cette suite de textes de repérer au sein d'une tribu nord-américaine, dans la tension entre deux tendances : l'une, très ancienne, où les êtres différents de l’homme étaient considérés comme des esprits donneurs de remèdes, et une autre beaucoup plus récente où, après une transition où ils ont été dissociés en corps comestibles et esprits messagers d'un Dieu suprême qui les condamnait à perdre à terme cette qualité, en faisant une religion du droit de les tuer, ils sont devenus de la viande sur pied.
Il faudrait à ce sujet invoquer les rites de déspiritualisation du vivant, afin de le rendre disponible sans conséquence ; et leur effet boomerang, notamment dans la valorisation de cette déspiritualisation même. Témoin la fierté du chasseur tueur de « bêtes sauvages » (ou qu’il rend sauvages en les maltraitant) , identique à celle du toréador et du mangeur de viandes, cuite sur grill de préférence ; son identification fantasmée à « l’homme originel », au « conquérant du feu », s’instituant face à -- et contre – l’animal, tout en prétendant à sa « reconnaissance ». Pénible sujet.
C’est une idée très ancienne que le monde est peuplé de toutes sortes de « gens » -- visiblement : à deux pattes, à quatre pattes, à plumes, à écailles, à poils, à cornes.... Certains sont invisibles et ne sont accessibles que par la voie des visions ou des rêves.
C’est une idée toute aussi ancienne qu’il y a des « dieux » et que ceux-ci peuvent prendre toutes les apparences qu’ils veulent.
Moins ancienne, l’idée que le dieu suprême ne peut avoir que forme humaine. Platement moderne, l’idée que l’homme est radicalement différent de -- et supérieur à -- tous les autres êtres vivants. Que, de surcroit, de n’avoir aucun dieu, il n’en est que plus grand, est seul à avoir des droits, a tous les droits. Cette idée (laïque?) ne manque pas de fidèles.
Dans un texte publié en 1970, A Basic Call to Consciousness , les Hau de no sau nee (Iroquois) écrivaient : « La spiritualité est la forme la plus élevée de la conscience politique. »
Quand la liberté politique se construit sur un parti pris de réciprocité avec le monde, la culture en est la reconnaissance, prodigue en inventions inépuisables. Cette liberté-là n’est pas seulement politique, économique et sociale, et n’a aucune raison de se figer en religion, aussi longtemps qu’elle reste vivante. Essentiellement artistique, comme l’est la nature elle-même, elle relève de la spiritualité, qui est la forme la plus élevée de la conscience d’être au monde.
Le totémisme aujourd’hui
Quant au totémisme, mainte fois évoqué dans ces articles, on est passé en soixante ans d'une théorie participative (où « les sauvages se prenaient pour des animaux » (Frazer, Lévy-Bruhl), à une réduction intellectualiste, où « le totémisme est une illusion recouvrant un système de classification » (Lévi-Strauss).
Depuis cette réduction, Lévi-Strauss a apporté des accommodement à sa théorie, mais sans la remettre en question explicitement, ce qui a fait du totémisme un signifiant flottant, propice aux métamorphoses et annexions en tout genre.
C'est ainsi qu'on a assisté au cours des soixante dernières années à la remise en circulation du mot totémisme sans reprise à nouveaux frais de son analyse, comme si la question était à la fois réglée et insoluble ; c'est à dire impensable. Et réalisant l'impensable : réhabiliter la théorie participative de Lévy-Bruhl tout en préservant le structuralisme de Lévi-Strauss. Comme si le totémisme, pour structuré qu’il soit, bien qu’inexistant, n'était finalement qu'une affaire de sentiments, selon une tendance caractéristique de l’ethnologie poststructuraliste à gloser sur des mentalités problématiques, à l’antipode de la méthode préconisée ici, qui consiste à mettre une institution en relation avec une éthique ; ce qui donne une théorie très différente de celle que Lévi-Strauss a défendue en 1962, mais que je crois assez proche de celle qu'il ferait aujourd’hui en y repensant, compte tenu de ses réflexions de 1996 sur la vache folle :
« Tuer des êtres vivants pour s’en nourrir pose aux humains (…) un problème philosophique que toutes les sociétés ont tenté de résoudre… En détournant les consommateurs de la viande, [l’épidémie de la vache folle] ne ferait qu’accélérer une évolution en cours. Elle lui ajouterait seulement une composante mystique faite du sentiment diffus que notre espèce paie pour avoir contrevenu à l’ordre naturel. » (Nous sommes tous des cannibales, Seuil, 2013, « La leçon de sagesse des vaches folles », 24 novembre 1996.)
A leur antipode, les nouveaux avatars du « totémisme participatif » tournent autour du même impensé que les anciennes théories qu’ils recyclent.
Le totémisme procède de la reconnaissance que tout ce qui existe est animé de la même énergie cosmique. L’interdiction de tuer des êtres vivants en découle logiquement. Cette interdiction est la face négative du principe qui crée la possibilité d’existence d’une société juste. Ce principe – le non-droit de tuer — a pour but de rendre possible la communication entre tous les êtres.
Principe assez clair, assez profond et d’une assez grande conséquence pour qu’on puisse appeler institution l’ensemble des règles sociales qui en résultent.
Cependant ce principe n’est pas applicable à toutes les espèces par une seule société, en raison de l’accès limité à la diversité du vivant par chaque société particulière (dans un monde normal, non mondialisé, s’entend) et des limites dans les possibilités qu’une prudence invite les penseurs des sociétés librement instituées à reconnaître chez leurs congénères.
C’est pourquoi le principe se présente pratiquement comme un système d’accommodements.
Au lieu d’interdire à tous les membres de la tribu de tuer tous les êtres vivants et de se nourrir de leur chair, le totémisme consiste à diffracter le principe en quatre procédures :
1. Alliance individuelle au cours d'une rencontre avec un être différent.
2. Octroi par cet être différent d’un pouvoir cautionné par un interdit.
3. Transmission à sa descendance, par le récipiendaire, du nom, de l’image, du pouvoir et de l’interdit (prérogatives).
4. Répartition de ces prérogatives entre les différents clans de la tribu, les clans étant constitués de toutes les familles qui pratiquent le même rite et portent le même nom.
Les Omaha sont un bel exemple de cette institution, où les relations totémiques sont réparties entre leurs dix clans.
Les Piaroa du Venezuela en sont un autre exemple. Dans cette tribu, tout le monde s'abstient de manger le tapir, comme si la tribu en était le clan parmi d'autres clans répartis dans les tribus disparues, jadis avoisinantes.
Totémisme et non-droit de tuer
Il découle de ce qui précède que le totémisme n’a rien à voir avec le cannibalisme, ni avec l’inceste. Ce n’est pas un rapport de parenté qui interdit de se nourrir d’un animal, c’est un rapport d’alliance. Et c’est en conséquence d’une règle matrimoniale posée en dehors de toute considération animale qu’on ne se marie pas avec quelqu’un qui porte le même nom que soi.
Le totémisme n’a à voir qu’avec la chasse, pour autant que celle-ci est une forme instinctive d’acquisition de nourriture qui n'est sanctionnée par aucun droit.
Le goût effréné de la chasse, à partir du moment où les hommes, ayant appris à faire du feu, ont gouté à la chair animale, est devenu tel, dans ce moment de l’histoire de l’espèce humaine, et ce goût si viral, que les chamanes ont inventé le système de « déclinaison clanique des prérogatives » pour tenter de contenir le massacre des animaux dans des limites soutenables – des deux côtés : pour permettre la reproduction des espèces animales, décimées par troupeaux entiers, et pour éviter la propagation des maladies qu’une Némésis inflexible ameute à harceler les auteurs de tels massacres jusque dans leur descendance.
Dans ce but, ils ont imaginé une mythologie foisonnante, représentable, jouable, et élaboré un modèle social fascinant par son esthétique et ses résonances inspirant la possibilité de guérisons spirituelles.
Mais au bout du compte, ils ont échoué.
Une page dans l’histoire de l’espèce humaine était tournée. La prédation était devenue la règle. Devenu impensable – et depuis impensé – le non-droit de tuer.
La question totémique cesse définitivement de se poser avec l’élevage, la gestion carcérale de la reproduction animale et l’exercice d’un « droit de vie et de mort » non négocié, excluant toute possibilité de relation spirituelle entre l’homme et le monde, et donc toute possibilité de guérison spirituelle.
C’est dans cette situation de déréliction que se présentait, au XIXème siècle en Amérique – lorsque au pouvoir du feu s’est ajouté celui des armes automatiques – et jusqu’à il y a une cinquantaine d’années encore, çà et là, le totémisme, qui n’est plus aujourd’hui, où des restes en subsistent, qu’une adaptation formelle de l’ancien modèle vidé de son contenu.
Le totémisme prend des formes de plus en plus dégradées dans les sociétés où des gens se donnent des noms nouveaux tout en sacrifiant au culte des fétiches. Au nombre des dégradations on peut compter une certaine formalisation cléricale, à tendance sacrificielle, de la « rencontre avec l’autre », et l'extension à des objets fabriqués de la relation fétichiste, où la notion de totem perd tout son sens, et la dimension spirituelle de la relation totémique, faite d’interdits et d’obligations dans la conscience des conditions d’une perdurance réciproque, se dissout au profit d’usages qui lui sont antagonistes.
C’est comme tel qu’il existe aujourd’hui dans maintes personnes et choses « intouchables », dont la dernière chose à laquelle on pense quand on les nomme est : « Ai-je le droit de tuer ? »
Ref
Francis La Flesche et Alice Fletcher, The Omaha Tribe, University of Nebraska Press, Lincoln, 1911.
J R Walker, Lakota Society, University of Nebraska Press, Lincoln, 1982.
Hau de no sau nee, A Basic Call to Consciousness, Genève , 1970.
Jean Monod, Raid, Editeurs Evidant, 1990.
John Joseph Mathews, The Osages, Children of the Middle Waters », 1961.
Claude Lévi-Strauss, Le totémisme aujourd’hui, PUF, 1962, La pensée sauvage, Plon, 1963, Nous sommes tous des cannibales, Seuil, 1996.
Liens
• ETHNOLOGIE 1 Mythe et chamanisme. La singularité Piaroa
• ETHNOLOGIE 2 HUNKA/HON’GA, Le mythe de l’unité perdue. L’exemple Omaha
Ani-mots.com
ETHNOLOGIES


Mythe et chamanisme
ETHNOLOGIE 1
LA SINGULARITE PIAROA
Organisation sociale religion et politique
ETHNOLOGIE 2
HUNKA/HONGA LE MYTHE DE LUNITE PERDUE I
ETHNOLOGIE 3
HUNKA/HONGA, LE MYTHE DE L'UNITE PERDUE II
Bande dessinée
GIMSA / BALLADE POUR UN CHAMANE
Ethno-récits
JM / BALADE POUR UN CHAMANE
WORA / SOUVENIRS D’UNE SAISON INACHEVEE
Poésie Image
SOUVENIRS DUNE SAISON INACHEVEE / AmaZone
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Poésie
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