Parallélisme croisé

     La symétrie vertueuse qui voudrait qu'on soit pour l'Ukraine comme on est pour la Palestine a la non pertinence de ce qui confond un humanitaire à géométrie variable avec la stratégie. 
Mettre l'humain au premier plan dans une guerre est moralement louable, mais c'est une erreur, car par définition, quels que soient les garde-fous qu'on veuille y mettre, la guerre, qui n'a pas seulement pour objectif de détruire les capacités militaires et économiques de l'ennemi mais de tuer le plus grand nombre de gens possible, n'en a que faire. Toute l'histoire, la nôtre en premier, le prouve.
De ce point de vue sans naïveté, l'offensive russe en Ukraine est cohérente avec son but stratégique, qui est d'empêcher l'extension d'une présence offensive de l'Otan à ses frontières.
De la même façon, avec des massacres plus considérables en plus, ces massacres, précisément, perpétrés par Israël, sont cohérents avec son objectif stratégique qui est de vider des Palestiniens l'empire "juif" qu'il vise, en vue d'offensives préventives ultérieures prévisibles.
La symétrie stratégiquement corrigée entre être contre Israël et pour la Russie est que dans les deux cas l'ennemi est le même : ce sont les États-Unis.
On peut être contre l'État contestable d'Israël sans être l'ennemi du peuple juif. Comme on peut être contre le dictateur Poutine sans méconnaître la pertinence de sa stratégie.
Quand on est contre la guerre, et qu'on n'a pas en soi la puissance divine, les bons sentiments ne servent à rien. Il faut fonder son opposition sur un principe. Ce principe est qu'aucune guerre ne peut être juste, parce que tuer n'est pas un droit. Il n'y a pas de droit de tuer. C'est métaphysiquement impossible.
À défaut de pouvoir mobiliser les institutions adéquates, et pénaliser préventivement le crime au nom du droit, lorsqu'on se trouve confronté à une guerre qui se rapproche de vous chaque jour, pour autant qu'on n'en est pas menacé à chaque heure dans sa chair, si on veut la comprendre, on a intérêt à essayer de la remonter à sa cause première.

À l'échelle de l'histoire, dans la double guerre qui se déroule aujourd'hui, les agresseurs ne sont ni les Palestiniens ni les Russes. Les Palestiniens n'ont pas envahi Israël et les Russes n'ont pas envahi les États Unis. Dans les deux cas, les agresseurs, par États de complaisance interposés, sont les États-Unis génocidaires d'Amérique, qui ne sont au départ qu'une extension de l'Europe esclavagiste, dont le projet de conquête de la terre toute entière rencontre sous nos yeux dans l'aire méditerranéenne, militairement, pour la première fois, sa limite.
Cette coûteuse rencontre est clairement perçue, d'un point de vue extra-euroaméricain, pour ce qu'elle est dans sa dimension stratégique, avec ses deux fronts dissymétriques, le premier, russe, antiaméricain, astucieusement ou spécieusement, comme on voudra, défensif, en Ukraine, le second, américain, lui répondant sous couvert israélien, ponctuellement revanchard et outrageusement offensif à Gaza après l'avoir été hypocritement pendant 75 ans dans toute la Palestine.
De ce qui se joue entre ces deux fronts, une nouvelle avancée des États-Unis, un arrêt ou un recul, la prudence observée par des États voisins et d'autres plus lointains, suspendue à l'entrée en scène de l'objectif final étasunien qui est la Chine, montre bien que la partie enclenchée le 24 février 2022 par la Russie en franchissant le Rubicon en Ukraine n'en est qu'à son début.