Raïkis

Dix corbeaux dehors 
pourtant je n’ai pas brûlé 
mes vieux manuscrits

Souvenirs d’Arizona 
en parcourant la crête 
de la Vieille Morte

Conduisant dans la neige
regardant s’ébattre 
les lutins de ma conscience

Fermant les yeux dans ce bain 
ça pourrait être 
n’importe où.





Ecrire pour ce qui ne dit mot 
comme retenant son souffle 
l’aube

Partir d’un point
En faire un ciel
Y retrouver ses amis

Il y a quelqu’un ici 
sa présence 
est une médecine

Au Tibet 
nous ne serions pas
plus près d’ici.





Légère en août

  
 
   Hier, je pouvais presque dire le chêne ; et je me figurais que je pourrais, un jour, dire toute l'étendue. 
   Mais non : seulement la lande qui s'étend là, sans cadre, vers le sud.  
   Et peut-être, de la lande, seulement le contraste des pierres, des bruyères et des chênes. 
   Et peut-être encore, de ce contraste, seulement la lumière, qui s'équilibre. 
   Où la couleur fait une ombre. Qui peut être dite. 
   Dans le jour qui bascule. 
 
   Lande et langue, étrangères que midi rive à sa secrète encoignure. 
 
 
 
   Je croyais que je pourrais dire le paysage par ses ombres — le jour par le plomb — en remontant du désert à la lune ;  comme, dans les cendres, la mémoire des graines. 
   Je ne voulais pas peindre le ciel. 
   Je ne voulais pas faire un moulage de l'air.
   Je rêvais d'une cave incendiée de signes. 
 
 


   Semeur de cailloux bleus au seigle. 
 
 
 
 
   Je voulais dire le bleu du ciel, au premier croissant, quand, visible à peine, elle semble affleurer de cendres qui l'éteignent, et presque aussitôt l'entraînent, la soustrayant à la nuit de son retour. 
 
   Je voulais dire le bleu, non le soleil. La limite du bleu quand, faucheuse, elle se réveille — comme, sur la forge assouvie, la faucille. 
 
   Le passage du bleu au noir, par le plomb qu'elle raye. 
 
   Le bleu par la meule, la lumière par la lame, et la nuit par la boue où elle s'aiguise.     
 
 
 
   Je voulais dire le bleu à la limite où, transparent, il fond entre feu et lime, et presque aussitôt se fige autour de la lame qui le soustrait à son éclat. 
 
   Le bleu, à l'instant invisible où s'ouvre un œil, qui s'en sépare. 

  
   Cornée du ciel.  
 
 
   Je voulais dire le bleu par le gris qu'aère la lune, à l'instant où la nuit rend au jour son regard. 
 

 

 
   La nuit suivante, l'air se tint coi ; et les pins écoutèrent de toutes leurs épines. 
   Puis l'horizon trembla de blancheurs sourdes et, dans la nuit tonnante, nous nous endormîmes. 
 
 
   Au matin, le tonnerre s'est réveillé brume. 
 
 
 
 
   On s'étonne, poussant la porte, de voir un tapis. 
   Rien qui ait la transparence d'un vocable. 
   Pas d'ombre — et la brume est sourde. 
   Des poissons géants émergent de passe-montagnes. 
   La pluie ironise : aujourd'hui, le soleil reste au lit. 
 

 
 
    Ce qui n'a pas été vu fut dit par la bouche de la brume. 

DIRE L’INVISIBLE


Le visible, il est là, mais où est la parole? 
Dans le doute, écris. 
La vérité dans le doute est agissante. 
Quand les mots descendent 
l'éclat vient d'au-delà. 
Mieux vaut écrire ce qu'on n'entend dire par personne. 



   As-tu déjà vu un nuage se dissoudre sous tes yeux ? 
   Le vent souffle du nord et passe par-dessus la crête. 
   Ce vent est clair. 
   C'est pourquoi les nuages ne viennent pas ici du nord : 
ils viennent d'en bas. 

   L'habitude de tourner le dos au nord, cette vaste vue ouverte 
sur le sud-est, au-delà de la roue des montagnes — immobile, et 
pourtant qui tourne — recèle un petit piège. 
   C'est, comme je l'ai dit, que les nuages viennent d'en bas. 
   As-tu déjà vu un nuage se dissoudre sous tes yeux ? 
 
 


A la brume 
 
Brume ô douce compagne de l'aube 
étoile diffuse 
cousine du soleil et de la nuit 
tu me montres que la vie parle 
et tu te laisses voir et lire et dire 
comme si la nature était la  
buée d'une parole 
 
Mais, tu le sais, le château des mots 
où l’air accède  
est ceinturé d'épines 
et dès que le maître du lieu se lève 
comme si tu ne pouvais plus ni monter ni descendre 
au rythme d'une incessante vague 
tu te multiplies et te déchires... 
 
 


Toi par qui l'eau coule, les pierres existent, les arbres poussent, 
et cela tient en l'air, pourquoi les mots disant l'étonnement que me 
procure ton œuvre immense sont-ils si rares ? 




     As-tu jamais rêvé d'une ère d'arbres ? 

     Rêvé — dans le temps des arbres — où leur croissance devient 
perceptible et la lente parole de leurs divisions jamais ne se termine ? 
 
     Les as-tu vus doucement remuer de l'encolure ? Et n'étais-tu pas 
toi-même inclus dans leur parole ? 
 
     Alors — as-tu remarqué ? — il n'y avait pas de sol. Tout se passait 
à hauteur de col, comme en vol, sur le mouvement incessant d'ethniques 
conciliabules. 
 
     Mais le plus formidable n'était-ce pas le bruit ? Un grincement 
continuel, rauque, de corne, comme du ciel à l'origine — la terre avant 
l'homme — mugissement de la lumière dans la mémoire de son éveil ! 
 
     Et infini... infime... 
 

VISIONS




Zone Aride


Le désert a la transparence de la lune
Il y a des traces de pattes
Le silence écoute
les étoiles
Depuis toujours elles s'évadent
Garde-moi d'oublier
Grand Esprit Bleu !




HAKO


Je me souviens
Louée soit la demeure de Tirawa
J’élève une voix
Loués soient les Vents
Je vois
Loué soit le Soleil
Je touche
Louée soit la Terre
Je vis
Louées soient les Plantes
Je bois
Louée soit l’Eau
Je me souviens





J’ai élu un lieu de méditation
Ce lieu est le centre de ma maison
Ma maison est ronde comme le ciel
Son toit est profond comme l’horizon
Il y a place pour le feu dans ma maison
Les braises naissent du frottement du bois
Je te salue Flamme parole du feu
Je vous salue Visions qui passez l’entrée !






VISION 73

Les gens avec la chasse aux danses des nombres
— sa carlingue poésive au détour de ruine
inca —
Le bruit du vent qu'est l'esquif
aboi dans ma tête deux fois
feu doux il pleuvote

dans l'allée

les Fox


HALMET

& ressortent



I’DAPUKA

Le pays au-delà des mots
commence au Rapide du Ciel
dans les montagnes à l'est de l'Orénoque

C'est une île
en forme de hache
où tous les animaux sont figés dans des rocs

Passant
tiens tes lèvres closes
toute parole menace

A la fin tout deviendra pierre
même l'eau même l'air
— tiens ta vision.




Je voyais deux soleils
J’étais au pied d’un arc-en-ciel
Une ombre à côté de moi
fauchait l’air avec sa hanche


Tu
as
connu
l’Illumination
A présent tu pèles une mandarine

Tu
as
connu
l’Effroi
C’est une spirale aussi


Un cercle qui se boucle s’abolit
dans l’idée où son image s’origine
La mort n’arrête pas le devenir.


Certes de nos illusions il restera peu de chose
lorsque nous serons passés à l’état d’âmes
dans la tension volontaire ou l’abandon effroyable
pour ce dont il s’agit
mais non pour ceux qui viennent
si nulle trace de notre passage ne révèle
réponse à la question faite homme
leurs illusions seront les mêmes.

L’imparfait, l’inachevé
ne se réincarne pas : il demeure
comme demeure en l’homme actuel
si peu de sa conscience ancienne
que tout ce qu’il ne sait plus lui fait peur.

Parle donc
Il est à craindre
lorsque l’obstacle s’envole
qui du monde en l’histoire nous isole
solidairement
lorsque l’histoire devient folle
que la parole aussi s’envole
par intermittences.



Trois notes pour HAU ***

     Quipu des Oisequx

     Les quipus (du quechua : kipu, « nœud ») sont des assemblages de cordelettes nouées dont les Incas se servaient dans les temps anciens pour le compte des gens, des choses et des paroles. Dans le compte des gens et des choses, les quipus tenaient lieu de registres. Les quipuscamayos, recenseurs, parcouraient le Tahuantinsuyu, le pays inca, munis de leur cordelettes, et s’arrêtaient dans les différentes communautés (allus) à chacune desquelles correspondait un quipu. Les cordelettes de chaque quipu étaient teintes de différentes couleurs, qui indiquaient la sorte de chose prise en compte ; il s’agissait surtout d’hommes, de femmes, d’animaux, de champs et de récoltes. Les nœuds, qui pouvaient être de diverses formes, indiquaient les quantités de ces choses. 

     Système non alphabétique d’écriture, les quipus servaient aussi à mémoriser des paroles. Le lien entre les quipus et les mots n’est pas indiqué dans les annales. Il semble que chaque quipuscamayo ait développé sa propre méthode ; si bien qu’à moins qu’il n’en transmettre la clé, les quipus d’un quipuscamayo n’étaient pas déchiffrables par un autre. Par ailleurs, dans son livre sur les quipus, Nordenskiold  indique que la forme globale d’un quipu, le total de ses cordes, correspondait à un compte astronomique. Les quipus étaient ainsi à la fois des registres, des annales, des calendriers et des mythes.

     « Quipu des Oisequx » fait suite à Quipus (Editeurs Evidant, 1988) et constitue une branche de Tas d’esprits, ou plutôt un fil détaché pour accompagner à Sauve, le 3 août 1996, « les Zozios » de Jacques Demarcq.

     L’histoire de Tas d’esprits  remonte à 1987, quand James Koller, son fils Bert, Peter Garland et Karl Bruder faisaient route de Chicago à Santa Fe avec Franco Beltrametti. 

     Peter Garland et James Koller avaient un projet de duo de musique et poésie, auquel les marionnettes de Karl Bruder devaient apporter un élément visuel. La question était : comment travailler ensemble quand on vit éloignés les uns des autres ? Franco  suggéra qu’en prenant le Yi King comme base commune, chacun pourrait commencer à élaborer indépendamment sa partie. C’est ainsi que naquit The bone show de James Koller.

     Le trio ne s’étant finalement pas produit, James Koller, que j’avais rencontré à Paris avec Franco Beltrametti, m’avait donné son texte, je l’avais traduit, et cette traduction venait de paraître aux éditions La main courante de Pierre Courtaud sous le titre Et nous les os.

     La danse des os, des ombres ou des esprits – la danse macabre – est un rite indien bien connu des corbeaux, Villon invisible à l’instant où surgit la poésie, Franco sans corps maintenant aussi, on ne se doutait pas que la Mort était si près, Mademoiselle ou Monsieur, tu l’as eu, mais les poèmes continuent à s’écrire.

     En traduisant The bone show l’idée m’est venue que le principe proposé par Franco Beltrametti pouvait être étendu à d’autres personnages que ceux que James Koller avait retenus, en gardant la base numérique du Yi King ou en en cherchant d’autres, et en considérant comme personnages les auteurs non identifiés de choses qui me passent par la tête comme

L’autre monde est inimaginable

il faut y avoir été

ou

c’est ce que je dis toujours à ma parole

après où iras-tu ?

qui font que j’écris.

C’est ainsi que j’ai commencé à rassembler des bribes de choses dites par Dieu sait qui sous le titre « théâtre d’esprits », quand j’ai appris que quelqu’un qui vivait à deux vallées de là s’intéressait à mes anciens quipus.

Finalement je l’ai rencontré, c’était Max de Carvalho, un fil lancé huit ans plus tôt avait trouvé une main amie, et du coup j’ai compris que je n’avais pas été jusqu’au bout, qu’en fait je n’avais fait qu’effleurer les quipus ; alors je m’y suis remis en commençant par la chose avant les mots, c’est-à-dire que j’ai noué des cordelettes. Et comme je devais aller la semaine d’après faire ce duo où il était question d’oiseaux, j’ai glissé dans les nœuds des plumes ramassées un peu partout et ça a été mon premier quipu. Le voici. 

Quipu des Oisequx, 1996.

Raïkis 

    Les poèmes rassemblés sous ce titre ont été écrits au cours de diverses expériences, dont ils sont le précipité en quelque sorte. Quelques uns sont extraits de Lumière d’ailleurs (Editeurs Evidant, 1988) et Cœur du récit (id, 1989). La plupart des autres ont été publiés en tirages limités par Aiou en 1997 dans Tiens la vie, Quipu des Oisequx, Fast poetry (avec Jessie Duravoir), Chemin ça suit, et Todays en 1998, ainsi que dans Embuscades (La main courante, 1997), recueil de poèmes écrits en écho à – et comme avec – Franco Beltrametti. Il y a aussi un brin extrait de Filtre d’ambiance sur ton répondeur (Jessie Duravoir, Aiou, 1995) ; et des inédits. « L’eau du premier soir » a été publiée en version intégrale par Mme Marcelle Fonfreide dans Le Nouveau Commerce (Cahier 84/85, 1992).

    On pourrait lire ces poèmes dans n’importe quel ordre. On expérimenterait alors un équivalent de la situation dans laquelle ils ont été écrits. A partir du moment où l’écriture atteint une certaine brièveté, une continuité se rompt, une dispersion se crée, et bientôt avec elle une inquiétude qui ne fait que l’accroître, multipliée en tourbillons qu’elle fait tourner autour d’une seule question, aussi difficile à cerner qu’à résoudre (comme le fit magistralement Aldo Tagliaferri à propos de la poésie de Franco Beltrametti) : dispersion rassemblée où ? *

Ce qui est bref peut être dense ; mais ce qui est léger ? Où est la consistance ? La légèreté a-t-elle en soi son centre ? D’où vient la fulgurance ? Ma première performance, aux Rencontres Internationales de Poésie à Cogolin, en 1985, « Elora », était un rêve. La danseuse japonaise Kagumi et le danseur Mic Guillaumes m’accompagnaient, présences mouvantes dans la lumière clignotante de Moonfire Funeral, un ancien film. Des années plus tard, en 1998, à Pavie, j’ai tenté une improvisation en vocables inacculturés. Entrettemps j’avais définitivement renoncé à lire mes poèmes en public. En revanche j’avais appris, grâce à la musique qui me revenait par les cordes, à dire ceux de mes amis, Franco, Dario, Jim, Jessie… Finalement, c’est lors d’un récital improvisé, à une vallée de chez moi, avec Claude Duhaut à la basse, le 9 9 99, à Lavit, que les dernières bribes que j’avais écrites se sont rassemblées au premier essai et d’un seul tenant en raïkis, avec pour seul public, de passage ce jour-là, une famille d’aigles escortée d’hirondelles.

    Le mot raïki, qui m’est venu alors, me semblait exister dans une tradition oubliée, où il signifiait  :

    raïki   n. m.  1  Poème court, de 1 à 5 vers, parfois plus, pouvant compter moins de 17 syllabes.  2  Ensemble formé par de tels poèmes.  3  Récital de raïkis.

Dérivé du haïku, ce qui m’arrivait ainsi se présentait sous forme de dialogués, de  «mains», et de «treilles». La treille est une cascade de vocables ; le mot évoque le double mouvement, montant et descendant, de l’eau et du végétal ; au pluriel il prend huit lettres, comme une octave à huit notes ; le premier e en moins c’est un chant d’oiseau. La main est une forme retrouvée par Jessie Duravoir, faite de 5 vers inégaux  comptant en tout 15 syllabes **. Deux mains font donc trente syllabes, et autant pour les pieds. Un vers en appelant un autre, en marche ils alternent, faisant varier leur base en reproduisant un petit nombre. 

    Distique, haïku, main ou treille, l’important, me semblait-il, était ce petit nombre, qui portait l’audition des raïkis dans une frange de hauteurs transposable. Car si toute forme est nombre, le multiple est un effet ; seul le simple ouvre l’éventail de contrastes illimités dans un ordre. Et si ce qui distingue un poème d’un morceau de prose peut s’identifier à une forme, il me semblait que la forme, dans un poème, était une mesure, et que c’était cette mesure qui permettait d’entendre une certaine tonalité où vibrait le poème – à la fois hauteur, intensité, timbre, couleur, saveur, présence muée en absence, oubli devenu souvenir – quelque chose comme le nerf de la lumière, qui m’avait toujours échappé, en même temps que pris à la gorge, dans la beauté. 

    Une mesure de corde est sa longueur, entre les deux bouts qui la tranchent. On peut dire aussi qu’une mesure de corde est l’identification de sa provenance : telle ou telle plante. Dans le cas où cette plante est un bambou, sa dimension se mesure naturellement à des nœuds. Chaque nœud du bambou marque un moment entre des intervalles où il propulse en hauteur sa substance. Ainsi l’enfant grandit – croissant, cessant, s’épaississant, croissant à nouveau. La croissance est un temps d’expiration, comme la parole ; les nœuds sont des moments d’inspiration. La respiration monte et descend et a deux bouts ; à chacun de ces bouts, il y a un point d’arrêt suivi d’un retour, comme un solstice. Le bambou est creux ; s’il croit, n’est-ce pas qu’une graine y chante ? Et chaque plante a son mode de croissance, chaque chant sa respiration… De tout ceci résultait que chaque poème, identifiable à mon sens comme raïki, était devenu un nœud sur une corde dont la couleur indiquait la qualité de vibration – la provenance. Le raïki que j’avais improvisé, avec Claude Duhaut sur ses six cordes de basse, s’était ainsi spontanément organisé comme la rencontre d’une possibilité musicale et d’un quipu.

    Notes et couleurs se correspondent comme des mesures de fréquences, entre deux limites où s’ouvre « l’ellipse du perceptible » : en deçà, le silence, le noir, le vide ; au-delà, la stridence, l’éblouissement, la conflagration. Mais ce qui fonde leurs rapports dans notre expérience, c’est plutôt l’alternance du jour et de la nuit. Si chaque note a une couleur, comme chaque voyelle, c’est que chacune correspond à un moment de l’aube. A chacun de ces moments répond une saveur, que le corps ressent avant que l’esprit ne s’en rende compte. C’est une sensation qui ressemble assez à celle qui nous fait réagir d’un mouvement de gorge aux dissonances. Mais ce ne sont pas des dissonances : ce sont des nuances, perçues mais non notées, comme peuvent l’être le passage entre certains bleus et certains verts, l’âcre et l’âpre, ou entre des quarts de tons – harmonieux selon la convenance, où la sensation s’éprouve aux métamorphoses de la matière, comme trempée au feu d’une même origine – et peut-être habitée d’une même mémoire.

    La poésie ne se fraie-t-elle pas un chemin sous nos langues à travers de telles nuances, qu’une, dix, cent, voire combien plus d’années séparent, en raison des éclipses de cultures, une strophe répondant à une autre à distance, la langue se perdant, la corde demeurant, le poème se poursuivant, comme sa couleur d’aube chaque jour revenante ?

    Certains nuances apparaissent dans une transformation, qui ramène tel air sur telle corde, d’une chanson d’un pays perdu, d’un ancêtre inconnu, d’une ligne divagante, ce qui fait qu’on trouve des airs de même famille dans la même hutte. Mais cela n’est ni obligatoire ni  nécessaire : le même sujet, revenant à intervalles, aura changé de tribu ; et la même note peut se jouer sur différentes cordes. 

    Deux notes suffisent à évoquer un air. Et, à la perception de son timbre, rien que la première. Combien de vocables font un poème ? Ce qui distingue un raïki  – comme un haïku – d’un poème court informel, c’est que dans sa brièveté il est d’un seul tenant, tracé comme dit : d’un trait (« sans lever le pinceau ») dans un souffle. (Peut-être faudrait-il évoquer ici les points de l’acupuncture chinoise, qui ne sont pas sans rapport avec le monde perçu comme un système de correspondances et de courants, impliquant le cosmos dans nos organes, où il faut, lorsque quelque part ça se bloque, rouvrir le passage d’un souffle.) Les 3 vers du haïku expriment cela: contact / événement / coupure. L’événement, précis dans son décalage, n’a pas le temps d’être cadré comme il le serait dans un quatrain par exemple. Il tient dans un mouvement, comme une flèche vibrante. Il tient de saisir ce qui suffoque. Il tient dans un tourbillon.

    En réalité la coupure est au cœur du poème, est l’événement même, l’œil du tourbillon.

    Quipuscamayo

    Quipuscamayo, suivi d’Entre parole et songe, reproduit la parole lancée à la Cave-Poésie à Toulouse, à l’appel de Serge Pey, le 28 janvier 2002. Un « quipu qui voyage » en était le support mnémotechnique. Il y a dans « pas à pas » un salut discret à Julien Blaine, qui fut avec moi et tous nos parents de la « Plus Longue Marche » en 1978.

     Les statuettes d’argile qui font une apparition dansée dans Tas d’esprits sont des poukies d’un temps sans date. En composant ce livre, j’ai retrouvé une boite où elles gisaient en morceaux. Une nuit, des chaussures que j’avais mises à sécher près du feu se sont envolées par la fenêtre. En partant, elles ont laissé leurs clous dans la cheminée. Ce matin, seul dans le ciel, poussé par l’air lozérien, un petit nuage noir est devenu rose, puis jaune, avant de se volatiliser dans l’aube, comme absorbé par la lumière, plus haut, de l’aurore. En disparaissant, il a tracé la silhouette du chamane à tête de cerf d’Arizona et de Lascaux, tournant sur lui-même au dessus de la crête d’épines devant notre porte, où les ruisseaux font un Y, la brume mue, la pluie respire sur les tombes, les sangliers imitent les corbeaux, les aigles dansent la Danse de Disparaître et le tonnerre montre sa lampe. Une forêt vivante est pleine d’arbres morts. Cet automne les châtaigniers grincent au-dessus des sources. 

    Le souffle qui échappe dans un étonnement n’est pas un mot, n’a pas de nom. L’écrire, après Rabelais, hau, c’est indiquer le son indien venu de loin qui en fait un salut en ce monde.

     

 L’Espinassoune, 25 septembre 2002. 

* Aldo Tagliaferri, « La dispersion rassemblée », in Franco Beltrametti, Choses qui voyagent, Mazzotta (Italie), 1995 et AIOU 11, 1996 (épuisé).

** Jessie Duravoir, Actes de Naissance, suivis de Mains, Aiou, 1995. – Carrés magiques, 1995, inédit.

***  Jean Monod, HAU, Poésie, Voix éditions, 2005. Non publié.

Jean Monod, Raïkis, AIOU, le tourbillon reparti, 1999.

Leçons du cœur jeu de la mort

Préface de Franco Beltrametti  (1995)

Un recueil de vingt-huit ans de poésie, qui « bouge » d’un classicisme limpide (« tu es reine tu n’es rien je te regarde ») à une philosophie provocante (« Il aurait, je crois, parlé de mouches ») à un expérimentalisme déroutant (« Avant je creusais / maintenant j’avance ») à une grâce zen (« Je regardais dans le jardin. / Sans doute un insecte. / C’était la nuit. ») – juste pour signaler quatre directions.

Vous voyez comme elles sont interchangeables, et il y en a beaucoup d’autres. Leçons du cœur jeu de la mort de Jean Monod est un volume monolithique qui articule des expériences diversifiées, dont la caractéristique commune est le désir d’une prise directe et quotidienne sur le réel, prise à laquelle l’auteur a été d’une redoutable fidélité.

Les choses sont abordées, interrogées et poussées aux limites, «l’émotion dévastatrice», ni romantique ni antiromantique, est balancée par une pratique d’objectivation qu’on peut qualifier de classique au sens noble du terme. Il s’agit d’une attitude plutôt que d’une formalisation – et ceci est bien intrigant. Peut-on combiner Stendhal avec un chamane? Jean Monod, dans son écriture, semble prouver que oui.

Il est (ou a été, ou sera) anthropologue de pointe (voir son premier livre-enquête Les barjots, entrepris en 1966 à l’instigation de Claude Lévi-Strauss; et vingt ans plus tard Wora, la déesse cachée, sur les Indiens Piaroa de l’Amazonie vénézuélienne et sur les mutations du chercheur Jean Monod). Il a fait du cinéma comme réalisateur (Histoire de Wahari, 1975) et comme acteur (Dionysos de Jean Rouch, 1984); il a été romancier (Raid, 1990, une visite intense aux Indiens Lakota); il s’est occupé d’astronomie et de philosophie free-wheeling. Poète-voyageur au Japon (Distante écume, 1992), vidéaste (Qu’est-ce qui se passe? 1994), il est aussi éditeur: voir les livres AIOU et la revue internationale de poésie-image du même nom.

Un nouveau front est celui de la performance ou poésie-action, où il explore de nouvelles situations avec la danseuse japonaise Kagumi; un autre est la traduction de la poésie  – de l’anglo-américain (Tom Raworth, Cid Corman, Duncan McNaughton, ScarecrowJames Koller), de l’italien (Dario VillaPatrizia Vicinelli, Corrado Costa,Franco Beltrametti), de l’espagnol (Arystéides Turpana), du japonais (Nobu Wada), seul ou avec le groupe B.T.G.

Personnage aussi direct que complexe, Jean Monod, par son écriture aussi instantanée qu’élaborée, offre de manière frappante des parcours et des niveaux qui laissent au lecteur une liberté de lecture subtilement projectuelle.

Disons que Jean Monod est un écrivain qui aime transmettre des choses simples de façon articulée et des choses articulées d’une façon très directe, ce qui fait la dynamique « savante » de ces textes qui se renvoient les uns aux autres avec une clarté cohérente, combinée avec un « laisser-faire » qui est une porte ouverte à la totalité toujours reculée.

Et ceci semble correspondre à une confiance positive, vécue par l’auteur dans la vie et l’art, et désirée dans ce que j’appelle, faute d’un meilleur terme, l’utopie possible.

Expérience rare. Et livre nécessaire. Nécessaire pour l’auteur, qui a voulu marquer certains points de « tout » son travail, et nécessaire pour le lecteur, qui désormais peut se confronter à une pensée riche et composite projetée avec rigueur dans une continuité surprenante d’invention d’écriture-action.

Ceci est d’une profondeur significative, tant dans le contexte de l’avant-garde actuelle que, j’y insiste, dans le renouvellement d’un classicisme serein qu’on pourrait, parfois, dire traditionnel – si par tradition on entend aussi bien la « sauvage » que l’européenne, non moins sauvage.

Voulez-vous voir comment la pensée amazonienne se combine avec celle des philosophes pré-socratiques, celle-ci avec la « poésie-experiment », et, surprise permanente, avec le goût solide du jeu spontané et sophistiqué? Lisez Leçons du cœur jeu de la mort et vous m’en direz quelque chose. Après plusieurs lectures croisées de ce volume puissant et consistant de 275 pages choisies, on peut confirmer la justesse de l’observation d’Ezra Pound via Basil Buntig, que la poésie – Dichtung en Allemand – signifie « faire dicht », faire dense. Jean Monod écrit avec une légèreté admirable des choses d’une extrême densité. Ce livre va durer. En plus j’ai des raisons bien fondées de croire qu’il nous prépare d’autres renouvellements métamorphiques, d’autres surprises. Dans quelles directions, quels domaines? Jean Monod est sans aucun doute un des maîtres actuels du « nécessaire » dans l’art non-dualiste et transgressif du make it new.

«C’est un repaire de dragons, me dit-il.» (page 269) – et je m’arrête là. 

Franco Beltrametti

Riva San Vitale, 1er juin 1995

ÉLÉGIES

AURORE EN MER

Sommeil aux maladies de mers et de murmures,
Bouts d’âges et de mondes mangés bouche à bouche avec la nuit…
Une si énorme masse liquide, s’achever sur tes chevilles en bijoux !
Un si vaste vide, et respirer dans tes yeux l’or de la mer qui flambe à midi.

La tendre trouée d’or qui danse dans son disque
vide la poche de tes yeux.
O lumière dont la mer est l’intarissable pouls !
O vision entre deux feux.

Mer aux millions de mailles,
immense muscle dont la peau se calme à la lumière revenue,
liquide lucide, attentif aux astres,
Méduse née de l’infini !

Hamac où la nuit descend dormir
quand le lait de l’aube
coupe l’âme du noir
de son corps qui reste ici,

Qui dira le mauve de l’œuf d’ombre
dont le duvet couve l’horizon
berceau de moisissures chaudes
et l’acide raisin du cœur qui prie ?

A l’orbe de l’immense plaine usinée, un train vire…

Aurore industrielle, ô – ors détruits – fracas d’aveugles touchers !

TREIZE PAS POUR UN VERBE

Au commencement était le Verbe
Disent les rabbins d’Israël
descendants des patriarches et de Moïse.
Au commencement était le Verbe
et le Verbe était Dieu
et l’esprit de Dieu planait sur l’abîme.

Treize pas pour un Verbe
disent les Mayas
de la Lune et de ses ancêtres paternels et maternels
lorsque, ayant vu ses pas, il parcoururent
une longueur de ciel,
treize pas étant cette longueur
où, de son propre mouvement, elle
s’était mise en route
et lorsqu’ils la nommèrent
le Verbe vit le Jour
et les jours se multiplièrent.

Et, ici, nous, sachant
combien courte est notre vue
et bref le temps de notre passage,
tant individuel que communautaire, duquel,
non moins l’origine que le terme
à venir, le nommant
Histoire, nous ignorons,
exilés en elle comme
sur la terre, sommes
incertains d’en provenir,
mais non d’être hommes.

Mais non d’être hommes…
Si, rarement, nous nous accordons
à la quelconque écoute d’un vestige
ou dans l’heureux partage
— jardin de passage
sous l’œil écliptique du soleil —
rien de tel ne dure
et sur ce rien, rien ne se fonde
nous ne sommes plus au monde…




PRINTEMPS GREC



Que sont devenus les dieux de jadis ?
Le 15 août, jour de l’Assomption de la Vierge
j’étais en Crète à Dikté Andreos
dans la grotte de Psychro
où jadis, dit-on, Rhéa dissimula à Kronos mangeur de pierres
Zeus nourri par la chèvre et par l’abeille.

Que sont devenus les héros
sans qui nous n’avons plus d’intermédiaire
pour nous guider sur la voie céleste ?
Et les génies, et les saints qui les ont repris ?
N’étaient pas mauvais athlètes
ceux qui souffrant vie parfaite
atteignaient le Paradis !

Qu’est devenu l’ancien Serment
qui nous faisait, lorsque nous avions souci
des arbres non moins que des bêtes
chercher les flèches d’Artémis ?
Mourant chaque année, renés sans cesse
n’étions-nous pas, d’équinoxe en solstice
son amant, son père, son fils ?

Que sont devenus les Péquots et les Narragansetts,
les Mohawks, les Pottowatomies ?
Où sont les anciens poètes ?
Qui se souvient de la Nuit ?



Que sont devenus les audacieux philosophes
d’Agrigente, d’Ephèse et de Milet ?
L’homme étant ce que nous savons tous, disaient-ils,
il n’y a que deux mystères : la Femme
& le reste. Ecartons le premier.
C’est celui qui hanta nos pères
et les pères de nos pères
à qui nos mères ont emprunté
leur semence pour se perpétuer.
Alors nos ancêtres vivaient dans des villes emmurées
et la pensée ne pouvait pas s’élever devant l’oracle.
Mais la Guerre a eu raison du règne de nos mères
et, à présent, fleurit l’heureux commerce.
Venons-en donc, le mystère de la Femme écarté
par la loi qui fait de la cité
un monde d’hommes
où le Chaos est dompté
& la fécondité réglée,
au Cosmos – immense clarté
parcourue d’astres,
la terre étant incisée par le soc,
et la mer – notre liberté !
Est-ce un tout ?
Est-ce un assemblage illusoire
qui ne doit son unité
qu’à l’anxiété de nos sens ?
Et la mesure qui règne sur nos corps
comme elle commande à la cité
n’est-elle que l’ombre de cette anxiété ?
Et ce que nous appelons langage
n’est-il que l’ombre de cette ombre
dont la trace se perd entre choses et vocables ?
Est-ce, alors, un flux ?
Est-ce un feu allumé par hasard
qui s’éteindra par nécessité ?
Existons-nous le temps d’un éclair ?
Et si cet éclair nous semble une éternité
est-ce cela, notre mesure ?
Effrayante est la pensée qui se libère.
Menacé dans son germe tout ce qui naît.
Telle semble être la loi de l’esprit : étincelle
qui d’abord éclaire, puis consume.
N’y a-t-il pas cependant en cette loi
une stabilité ?
Sur quel principe allons-nous fonder
l’ordre où nos villes se dresseront
comme des monuments de vérité ?
L’air ? L’atome ?
Que sont devenus les audacieux philosophes
des premiers temps de la cité ?
Que sont devenus ces penseurs sobres
maîtres de leur parole comme de leurs corps ?
Que sont devenus ces artistes de la pensée ?
En allés ! Avec la lumière de leur regard
et cette beauté que Nietzsche a chantée
lorsque, d’une mouvement naturel
sous un ciel bombardé,
il pensait au commencement de la pensée
et devançait l’histoire !



LUCRÈCE


Les grandes toiles tendues au-dessus des théâtres de Rome
claquent dans les vers de Lucrèce
— pourpre éclatante de l’erreur !
Où le Soleil
qu’un calife un jour me montra
et comment pouvais-je avoir apparence d’homme
et ne pas entendre la langue d’Allah
comme si elle en venait
par cascades par trombes de syllabes
nées en même temps que l’Univers
et comme lui créées
par le même Verbe
disant Que la Lumière soit
et elle avait été
et le Soleil s’était manifesté
le même qui brillait au-dessus de nous
dans le désert où nous étions seuls
nous entendant l’un l’autre dans une rage
comme si nous nous étions entendus avant le Soleil
dont Lucrèce disait qu’il n’était pas plus gros qu’une pomme
et qu’il buvait la mer
et que sans cette mer qu’il buvait le Soleil s’éteindrait
et le Monde finirait
comme si dans un tremblement la pensée
traversant les siècles
se jouant de la science comme des croyances
rallumait au cœur de l’homme
la même interrogation assoiffée
creusant sans fin l’espace nécessaire à son éclat
fut-elle vouée à n’avoir jamais de réponse
et pourtant la buvant
scandale aussi horrible que notre présence
joie aussi dévorante que l’infini d’où vient l’angoisse
et il me demandait « Quel est ton nom ? »
& je lui disais « Personne »

& il hurlait comme si je lui arrachais l’âme !

IL DIT

Il dit 
Sauvage amour 
Désir qui ne cesse
La Nécessité de l’Anarchie Vient de la Carence des Etats à Réaliser la Justice
Il dit qu’il ne pense pas que tous les hommes puissent s’entendre et qu’il le regrette comme Christophe Colomb assistant à l’effondrement de sa cité idéale
Il demande si on peut dire que ceux qui ne veulent pas d’un monde nouveau sont des ennemis
Il dit n’être plus un moment ici
Il dit

Il y a de plus en plus d’indigènes
parmi les jeunes
qui aiment la poésie

Il y a 
de plus en plus
de pillards aussi

Comme si nous étions les clandestins
d’une tribu
dont l’extermination n’est pas encore finie

Avec les Maasaï du Ngorongoro en Tanzanie 
& ceux d’Endoïno Ormoruwak au Kilimandjaro
avec les ’Ke les Kwe les Bakgalagadi
dukgalagadi du Kalahari
nous voulons vivre et mourir sur la terre 
que Gugama nous a donnée
Avec les Batwa du Burundi
avec les Batwa d’Ouganda 
avec les Batwa du Congo
bats-toi ! bats-toi ! bats-toi !

Compagnons de lutte
si différents 
des amis d’antan
Compagnons de flûte 
très peu maison 
plutôt hutte

Vrais hommes 
sans visage
montagne et forêt
marchent la nuit


PAS À PAS



avec les Piaroa
avec les Quechua 
avec les Lakota
avec les Sérères

avec les Berbères 
avec les Hopi 
avec les Huicholes 
avec les Achomawi
avec les Wichi
avec les Ogiek
avec les Walpiri
avec les Yanomami

avec ceux qui croient
que les mots voient 
& qu’on peut renaître 
de sa parole

avec leurs frères 
avec leurs femmes 
avec leurs alliés 
grands & petits

avec leur cœur 
avec leur souffle
avec leur esprit
avec leurs poèmes

marche la nuit.

MAZZERU

Comme, sur une route, celle 

dont il ne sait si c’est elle, 

s’il l’a vue ou si c’était dans un rêve.

Non loin du petit bois où sont les ruines 

qui défendent au cœur d’y pénétrer sans rompre.  

Quand la nuit monte de la terre 

& ce qui ne respire plus s’éveille.

Un autre l’a vue – pas le mort – son voisin. 

Le cheval a fait un écart. Je me souviens.

J’ai cru voir une forme en avant du paysage 

comme un visage tourné vers mon âme. 

Une femme à côté de moi n’a rien vu – 

elle lui ressemblait pourtant.

A présent je crois être où vont mes lèvres   

et celle qui répondait au nom de femme         

à son pas, la nuit s’évente.   

Qui est mort ? Qui est vivant ?     

On ne le sait plus quand on ne reconnaît plus    

l’âme d’un aïeul dans un enfant.              

Ils ne reviendront plus dès lors.

Mais à leur place 

“ce que nous ne sommes plus”                   

elles nous le remémorent         

nos peurs.

Les dieux s’en sont allés   

ailleurs 

ils sont vivants.     

Nous, retournés, de dos, 

porteurs de mort,           

leur masque

“ce qui en nous a cessé ” 

l’accrochons    

à la queue d’un chien.

Ou, plus faiblement,                                

dévoreuse d’excréments,          

la lune.

Mais                   

pour nous    

même plus – Jour sanitaire.

D’où vient l’air ? Qu’est-il devenu   

en nous placé dès l’origine              

ayant traversé mainte figure         

qui nous apparente        

à tout vivant 

– mangé pourtant ?

L’un – d’où sa force – sacrifie                      

au principe de toute vie            

& passe obscur parmi hommes.

Il y a telle 

impermanence 

dans les éléments                    

que limpide    

est la conscience.

“Ce qui n’est pas”        

la femme en route

m’a dit 

être source 

de mémoire.        

Quand la nuit descend sur la terre 

inconnue 

ses habitants          

rétractés dans la lumière 

d’un festin funèbre

Où 

des ruines

d’un ancien savoir

qui se transmettait

à voix secrète

l’esprit

libre de toute trace 

observe les vivants qui l’ignorent 

& choisit parmi eux

ceux qu’un rapt a jetés sur les chemins de l’enfer.

Papillons et Villonneries

O ir o ir
ir v v oir
v oir

O ir o ir
ir v v oir
v oir

O ir o ir
ir v v oir
v oir

V v oir
oir v v oir




die cis die six
si vent sis cis
néant rdis

sants blanc champs banc
blanc rieux rveux bris
deux rdis

cons durs joncs murs
durs rer rer huis
ser rdis

tis mis
ffis pis rdis