La Boca, 2001

C’est pourquoi ce qui vient en premier, pour moi, dans l’écriture d’un poème (outre que ce n’est pas par l’écriture, mais par une écoute, toujours, qu’il arrive) n’est pas une parole. Pas encore. C’est un son imaginaire. Un morceau de musique - en entendant par là non pas un air complet, chanson ou symphonie, mais, littéralement, un son perçu comme un fragment, quelque chose d’entendu mentalement, plus virtuel qu’audible, quelque chose comme une surprise, un ‘’c’est ça !’’, ou même rien qu’un ‘’ça !’’, un ‘’ah !’’ dans le creux de l’âme entre deux syllabes entrechoquées comme deux silex qui font jaillir l'étincelle d’une dissonance ou d’un accord jamais entendu. Surgi de nulle part. Tout en accomplissant, satisfaisant, comblant et aiguisant, nourrissant, amplifiant, comme la flamme s’augmente du souffle et le besoin de boire se sublime en ivresse, le désir de ce que ce son inouï, qui semble s’être glissé dans une fissure de l’espace-temps, apporte. De tous les étonnements, de toutes les évidences, la plus forte. Ce que l’irruption d’une note inouïe apporte répond à la longue attente de ce vers quoi l’attention de celui qui traverse sa vie en deuil de poésie est constamment tournée : non pas le désir (faut-il encore le dire ?) de la gloire, de la richesse, de l’effusion unanimiste ou de la révolte triomphante, pour ne rien dire des ‘’lendemains qui chantent’’ - ou simplement du bonheur -, mais de l’arrivée, du retour, dans des syllabes qui formeront bientôt des mots qui diront ce qu'il y a lieu de dire dans votre langue, au passage de vingt autres langues, d’un très ancien rêve qui n’était pas allé - ou que vous n’aviez pas réussi à tenir, la dernière fois - jusqu’a bout… il y a longtemps, très longtemps, dans votre enfance probablement mais avant votre naissance aussi sans doute, dans une autre vie, cette espèce de présent voyageur immobile de la mémoire onirique à éclipses soufflé par la nuit et par les morts ; rêve qui s’était interrompu, que vous aviez perdu, qui s’était évanoui comme s’il ne devait, pas plus que les morts, jamais revenir, mais qui, un mois, un an, dix ans, trente ans après, par-delà le tronc contourné d’un arbre du temps, se répond, en écho à lui-même, cri d’oiseau d’une espèce nouvelle reconnu à l’instant dans la forêt où tous les poèmes que vous adorez se tiennent autour de vous silencieux et attentifs. Et du choc de deux syllabes il en nait trois – cela se compte -, cinq, sept, onze, treize, quinze, vingt, tout un poème, scandé dans la figure qui s’invente au même instant comme la matrice de tout ce qui accède à l’existence. Forme unique et toujours singulière, au renouvellement perpétuel, où les mots viennent se couler comme un frisson d’étoiles dans une pierre au temps où elle était encore vivante.


Nostalgie d'autochtonie peut-être…
Perdue depuis des siècles
Pour autant qu'elle ait jamais eu lieu -
Que tu aies vraiment des ancêtres !-
N'y penses plus, mon frère
Ou devrais je dire mon fils
Mon petit-fils
Ou mon arrière-petite-nièce ?
Laisse-la errer
Être ou ne pas être
Ce n'est qu'en rêve que ces choses se vivent
Peinture retrouvée

JMéditeur 2024